Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/403

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le prince Wittgenstein avait imprudemment conduit sur les rives de la Drissa. Malgré les succès remportés par certains de ses généraux, Napoléon n’osait plus se dissimuler les difficultés et les dangers imprévus de la campagne dans laquelle il s’était si follement engagé. L’obligation de remporter à bref délai une grande victoire susceptible de démoraliser l’ennemi, de hâter sa déroute définitive, d’étonner l’Europe et de rétablir, par surcroît, la cohésion et l’ordre dans ses armées hantait l’empereur ; la stratégie des Russes l’inquiétait, neutralisait fort souvent ses moyens d’action formidables, encore que notablement réduits ; il résolut de prendre contact avec un ennemi insaisissable et de le forcer à la bataille.

Barclay de Tolly et Bagration s’étaient enfermés avec leurs troupes à Smolensk. Le 14 août, Murat infligea aux Russes un léger échec ; le 16 l’empereur attaquait Smolensk, et, après deux jours d’une bataille forcenée, s’emparait de la ville à demi incendiée, après avoir fait mettre hors de combat par ses troupes plus de 13 000 Russes. Le combat nous avait coûté 7 000 hommes, mais comme les troupes de Barclay et de Bagration avaient pu opérer leur retraite, il ne s’agissait pas, cette fois encore, de la victoire cherchée.

L’empereur décida de poursuivre les fuyards, espérant bien les contraindre à livrer ce combat décisif qui, seul, pouvait hâter l’issue de la campagne. Bagration et Barclay de Tolly s’étaient retirés à Dorogobouge ; ils avaient fortifié leurs positions, comme s’ils eussent décidé d’attendre l’ennemi ; l’empereur crut tenir l’occasion qu’il n’avait pu trouver jusque-là. Il n’en fut rien : à l’approche des Français, les deux chefs russes se retirèrent avec leurs troupes, d’abord à Wiazma, d’où ils repartirent pour gagner Tsarivo-Zaimitchi. Ces retraites continuelles exaspéraient les Russes autant que Napoléon. Les premiers s’élevaient contre leurs généraux, dont la prudence leur semblait entachée de craintes illusoires. Quant à l’empereur, il ne dissimulait point l’inquiétude que lui causait cette tactique d’inertie, qui ne laissait pas, cependant, de provoquer parmi ses propres troupes de perpétuels dommages.

Caulaincourt occupa, le 29 août, Wiazma que les Russes, comme nous venons de le voir plus haut, venaient d’évacuer. Ceux-ci se retiraient sur Moscou, semant la ruine et l’incendie sur leur passage, ne laissant aux Français que des horizons dévastés. Néanmoins, l’empereur, malgré les représentations, qu’à tout instant ne cessaient de lui faire ses plus fidèles capitaines, malgré les pertes effroyables qui décimaient la Grande Armée, n’hésitait point à les suivre. À ceux qui lui faisaient part de leurs légitimes appréhensions, aux généraux qui, comme le brave Berthier, lui exposaient minutieusement le détail des fléaux qui ravageaient la Grande Armée, Napoléon répondait par des boutades injurieuses, bien qu’à tout instant la vérité pressante des objurgations qu’on lui présentait l’obsédât.

D’importantes modifications venaient, d’autre part, d’être apportées par