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CHAPITRE V

LA CAMPAGNE D’ALLEMAGNE

Le désastre de la Grande Armée dans les plaines de Russie, le passage au sein de l’Allemagne déjà frémissante de ces hordes misérables, derniers débris d’escadrons jadis invincibles, les bruits qui couraient sur l’épuisement de la France et sur les résolutions insensées de l’empereur n’avaient pas peu contribué à modifier singulièrement les sentiments que nourrissait à notre égard la Confédération du Rhin, cette utopie politique dont Napoléon avait assumé la réalisation si dangereuse. Le prestige, intact jusque là, de nos armes victorieuses avait seul maintenu l’équilibre d’une alliance que les peuples germaniques ne subissaient qu’avec rage ; le déclin de la fortune de Napoléon devait inévitablement marquer un réveil des volontés nationales allemandes, dont les princes devaient être impuissants à maîtriser l’essor.

Les prodromes de cette ardeur unanime, de cet élan libérateur ne se firent point attendre : pendant que l’empereur s’abandonnait aux projets qui devaient un peu plus tard parachever la ruine de la nation, tandis qu’il étudiait fiévreusement les moyens de faire surgir de nouvelles armées pour de nouvelles campagnes, le bruit de la défection du général d’York se répandait. Tandis que Macdonald, duc de Tarente, s’efforçait de maintenir dans les corps prussiens le respect de l’alliance contractée, le général d’York, profitant du mécontentement unanime, et sûr de l’enthousiaste assentiment de l’armée qu’il commandait en qualité de second de Macdonald, signait avec le général russe Diebitsch La convention de Tauroggen, aux termes de laquelle il prenait l’engagement d’observer pendant soixante jours une neutralité absolue à l’égard de la Russie. Cet acte d’indépendance et de fierté nationales suscita dans les rangs prussiens une joie légitime : il eut pour effet d’accentuer d’une manière plus sensible le recul de nos troupes et la démoralisation du haut commandement ; c’est en effet peu de temps après la convention de Tauroggen que Murat abandonna l’armée sous le prétexte que sa présence était nécessaire à Naples. Ce fut ensuite au tour de Schwartzenberg, qui pactisa avec les Russes et se retira en Galicie, où il se garda bien d’engager de nouvelles hostilités. Pendant ce temps, le prince Eugène s’efforçait de rétablir un peu d’ordre dans les rangs informes des armées dont le commandement, par suite du départ étrange de plusieurs chefs, venait de lui échoir. Toutefois, Lauriston, Macdonald, Victor et Reynier commandaient encore en Allemagne les derniers débris de leurs corps d’armée respectifs, réunis non loin des rives de l’Elbe.

Les défections successives des alliés, l’agitation nationale en Allemagne,