Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/421

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les dangers qui pouvaient résulter du mécontentement unanime des esprits au sein de la nation venaient de découvris à Napoléon toute l’étendue du péril qu’il ne pouvait surmonter qu’à l’aide d’un de ces prodigieux coups de force auxquels il avait déjà accoutumé le monde. Dans cette fièvre de l’Europe insurgée contre la rage despotique du vainqueur d’Iéna, un retard, une défaillance, les conseils même de la raison eussent été au plus haut point préjudiciables à l’issue de l’entreprise aventureuse qu’il était désormais irrémédiablement contraint d’engager. Traiter eût été à peu près impossible alors : l’aveu même de la défaite fût sorti des propositions de paix, et les conditions offertes par les vainqueurs pour garantir celle-ci eussent à coup sûr anéanti Le prestige impérial. Ainsi les circonstances de la situation présente mettaient Napoléon dans l’obligation de recourir à de nouvelles mesures de violence, qui devaient avoir, hélas ! pour résultat d’épuiser plus définitivement encore ce qui restait des forces vives de la nation. Au moyen de communications officielles faites aux journaux sur le ton impérieux des proclamations qui jadis consacraient ses victoires, Napoléon fit savoir que plusieurs guerres nouvelles allaient être bientôt entreprises ; que les litiges politiques dont la solution avait été retardée seraient incessamment réglés, fut-ce au prix de nouveaux actes de coercition, et que, dans quelques mois, une force de 300 000 hommes se répandrait sur les principaux points de l’Allemagne pour y faire respecter le nom français.

Pour arriver à la réalisation de ces projets dont l’audace est encore un objet de stupéfaction, il fallait d’énormes ressources en hommes et en argent ; Napoléon mit tout en œuvre pour se les procurer : un sénatus-consulte en date du 1er septembre 1812 avait déjà ordonné la levée immédiate de 140 000 hommes qui composaient la conscription de 1813 ; une décision du Sénat prise le 11 janvier 1813 ; donna au ministre de la guerre 100 000 hommes pris sur les conscriptions de 1809, 1810, 1811, 1812 et qui constituèrent les cent premières cohortes de la garde nationale. Enfin, 150 000 hommes formant la conscription de 1814 furent mobilisés et durent partir immédiatement. Des mesures très sévères furent dictées contre ceux qui tentaient de se soustraire aux obligations militaires : les réfractaires furent poursuivis, traqués dans les bois, où ils s’étaient réfugiés, par des détachements qui avaient mission de les ramener de force ; on cite maints exemples de réfractaires qui crurent trouver dans les mutilations physiques qu’ils s’infligèrent le moyen d’échapper à la loi : ils avaient pensé se rendre inutilisables ; il n’en fut rien, on ne les laissa point en repos et ils furent placés dans les différents services afférents à l’armée.

L’absence de vaisseaux dans les ports permit d’autre part d’utiliser les marins qui furent groupés en compagnies et formèrent un contingent de troupes excellentes. Enfin, pour simuler un enthousiasme unanime de nature à dissiper la lassitude du pays ; à renouveler dans les cœurs l’amour de la