Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/428

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jamais œuvre urgente ne fut en effet, accomplie dans un temps plus propice et avec plus d’efficacité ; la situation de l’armée prussienne, dans les premières années du siècle, était déplorable. On tolérait, dans l’organisation des contingents, des abus qui rendaient toute unité, toute cohésion impossibles ; des trafics frauduleux et des faveurs achetées à prix d’or étaient les moindres tares de l’organisation militaire prussienne. Pour remédier à un pareil état de choses. Scharnhorst, peu sympathique d’ailleurs aux capitaines ignares, fats et belliqueux qui formaient le meilleur du corps des officiers prussiens, dut déployer une énergie d’autant plus tenace, que chacun de ses projets, très libéraux en général, allait à l’encontre des privilèges dont jouissaient l’aristocratie et les chefs militaires. Scharnhorst, qui désirait l’abolition des exemptions réservées aux riches, ne put obtenir cet édit, mais il provoqua des mesures assez nombreuses et qui eurent pour effet de donner à l’armée une autonomie et une organisation plus rationnelles.

À côté de l’incessante action, de l’habile et énergique tactique de Stein et Scharnhorst, à côté des résultats acquis et des transformations fondamentales dues à leur intelligence, à leur patriotisme et à leurs conceptions libérales, l’influence des littérateurs romantiques et des idéologues allait aussi, un peu plus tard, contribuer dans une très large mesure, au relèvement intellectuel et national de cette Allemagne, dont le courage, l’héroïsme et la probité trouvèrent leur plus forte expression au sein des luttes suprêmes de 1813. Nous avons rapidement esquissé le rôle moral des universités prussiennes durant les années qui précédèrent la campagne contre Napoléon : le rôle que jouèrent, dans le même temps, individuellement et avec une passion dont l’éclat surprend encore par sa puissance et sa sincérité, les plus fameux penseurs et les meilleurs écrivains nationaux, n’eut certes pas une moindre importance.

On a coutume, lorsqu’on considère dans son ensemble, cette période patriotique de la littérature allemande, de citer au premier rang de ceux qui l’ont illustrée, Ernest-Moritz Arndt le plus populaire assurément de tous ces modernes Tyrtées. Arndt qui devait si fortement contribuer à la restauration du sentiment national et de l’orgueil chauvin dans l’âme allemande, était né en décembre 1769 à Schoritz. En 1792, il se rendit à Iéna où il devint un auditeur attentif de Fichte, à l’Université. Envoyé en qualité de professeur de philosophie à l’Université de Greifswald, vers 1805, il entreprit, l’année suivante, la publication de la première partie d’un ouvrage intitulé l’Esprit du temps, qui, par ses tendances nettement patriotiques et son esprit de révolte, lui valut l’inimitié de Napoléon. Pour fuir un courroux qui ne tardait guère à se manifester par des mesures d’ostracisme plus ou moins justifiées, Arndt dut, sans plus attendre, se réfugier en Suède ; il n’y fit guère qu’un séjour de deux ou trois années et nous le retrouvons vers 1812, plus ardent que jamais, auprès du baron de Stein, alors à Pétersbourg ; il utilise