Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/451

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Écoutez Lacépède, le président du Sénat, qui prostitue sa dignité de savant dans des louanges hyperboliques : « Tels sont, dit-il, après l’énumération des hauts faits de son maître, tels sont les prodiges pour lesquels la vraisemblance aurait exigé des siècles, et pour lesquels peu de mois ont suffi à Votre Majesté ! Sire, tous nos vœux sont remplis. On ne peut plus louer dignement Votre Majesté : votre gloire est trop haute ; il faudrait être placé à la distance de la postérité pour découvrir son immense élévation »

Séguier, président de la Cour d’appel, trouve moyen de renchérir encore : son allégresse de valet bien rétribué lui souffle ce singulier jargon : « Napoléon n’a jamais voulu que la paix du monde, il a toujours présenté la branche d’olivier à ses provocateurs qui l’ont forcé d’accumuler les lauriers. Napoléon est en dehors de l’histoire humaine : il appartient aux temps héroïques, et il n’y a que l’amour qui puisse s’élever jusqu’à lui. »

Le monde des finances exprimait sa joie à sa façon, en faisant monter de 92 à 93 francs la rente qui était à 12 francs au 18 brumaire, puis à 60 et 70 après Austerlitz.

Nous verrons bientôt combien cette popularité était fragile et artificielle, mais elle ne s’en affirmait pas moins avec tapage, on le vit bien à la fête du 15 août, et Napoléon, momentanément débarrassé de soucis extérieurs, se sentant solidement assis sur son trône impérial, put songer en toute tranquillité aux affaires intérieures de la France. Ses intentions furent solennellement proclamées à l’ouverture de la session du Corps législatif, où l’empereur parla avec attendrissement du bonheur de « ses peuples », auxquels il décernait un certificat de bonne conduite et auxquels il promit dans l’avenir une prospérité sans bornes.

L’empereur ne songeait pas moins à la félicité des membres de sa propre famille et, à cette époque (août 1807), eut lieu le mariage de Jérôme, son frère, devenu roi de Westphalie, avec la fille du roi du Wurtemberg. Pour réaliser cette union, il ne s’agissait que de répudier la femme légitime, Mlle Paterson, dont Jérôme avait eu un enfant ; mais les princes s’embarrassent-ils seulement de scrupules, bons seulement pour le vulgaire ?

Là-dessus, la cour émigra à Fontainebleau, tandis que le Corps législatif donnait, par une délicate flatterie, le nom de Code Napoléon au Code civil issu des principes formulés par les assemblées révolutionnaires. Mais les législateurs d’alors n’avaient cure de la vérité historique. Ils étaient d’ailleurs surtout occupés de créer des emplois honorables et lucratifs aux membres du Tribunat qui allait être supprimé, et la Cour des comptes fut instituée surtout pour répondre à une si louable préoccupation.

Morituri te salutant ! Les membres du Tribunat ne manquèrent pas aux traditions d’antique servilité à l’adresse du César, et l’un d’eux se chargea, en recevant le senatus-consulte qui supprimait l’institution, de remercier l’empereur pour une mesure si admirable