Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/452

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je suis certain, messieurs, dit Carrion Nisas, d’être l’interprète fidèle des mouvements de vos cœurs en vous proposant de porter au pied du trône, pour dernier acte de votre honorable existence, une adresse qui frappe les peuples de cette idée que nous avons reçu l’acte du Sénat sans regrets pour nos fonctions publiques, sans inquiétude pour la patrie, et que les sentiments d’amour et de dévouement au monarque qui ont animé le corps vivront éternellement dans chacun de ses membres. »

Tant d’humilité valait bien quelques sinécures ; on ne les ménagea pas aux tribuns.

Cependant la cour, à Fontainebleau, s’amusait par ordre : chasses et réceptions se multipliaient, au milieu d’une étiquette insupportable, sous l’œil malveillant de l’empereur, brutal avec les hommes, grossier avec les femmes exigeant de tous servilité et souplesse d’échine, imposant à tous et à toutes de carnavalesques exhibitions d’uniformes variés, de livrées fastueuses. Mme de Rémusat a fait dans ses Mémoires une peinture pittoresque de cette cour froide et muette, plus triste que digne, où se lit sur tous les visages une expression d’inquiétude ; c’est un silence terne et contraint an théâtre, où il est défendu d’applaudir : dans les salons, où chacun craignait de s’entendre dire quelque parole désobligeante.

Les vieillards les plus respectables, les savants les plus illustres n’étaient point à l’abri de la grossièreté du maître, et Arago, dans l’histoire de sa jeunesse, raconte une scène qui eut lieu lors d’une réception des membres de l’Institut :

« L’empereur s’arrêta tout à coup devant Lamarck, déjà illustre par tant de belles découvertes. Le vieillard lui présenta un livre : « Qu’est-ce cela ? dit brusquement Napoléon ; c’est votre absurde Météorologie, c’est cet ouvrage dans lequel vous faites concurrence à Mathieu Lensberg, cet annuaire qui déshonore vos vieux jours. Faites de l’histoire naturelle et je recevrai vos productions avec plaisir. Ce volume, je ne le prends que par considération pour vos cheveux blancs. — Tenez ! », et il passa le livre à un aide de camp. Le pauvre Lamarck qui, à chacune de ces paroles offensantes, essayait inutilement de dire : « C’est une histoire naturelle que je vous présente eut la faiblesse de fondre en larmes. »

Pour supporter pareille humeur, la vieille noblesse, la race des courtisans de l’ancien régime était la plus empressée : « L’ancienne noblesse, dit Chateaubriand, affluait toujours à la cour, et l’empereur lui continuait sa préférence. D’abord il la trouvait plus souple, plus serviable que la classe bourgeoise et les hommes de la Révolution. Ensuite les nobles possédaient encore les plus grandes fortunes, et exerçaient par là une influence qui ne devait pas rester hors du gouvernement. »

Cette noblesse ancienne, Napoléon ne voulut pourtant pas lui laisser toute la place : il lui fallait aussi une noblesse nouvelle dont lui-même serait