Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/459

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à propos du rétablissement de la noblesse, des énormes dotations faites, de la création des sénatoreries. Cette pensée se traduit encore par d’autres manifestations qu’on nous permettra d’indiquer. Jaurès, dans son étude si approfondie sur les biens nationaux et leur dispersion, a montré que si la démocratie rurale eut sa part du domaine ecclésiastique ou du domaine noble exproprié, la propriété pourtant ne fut pas si morcelée qu’on pourrait le croire, puisque la bourgeoisie, à elle seule, absorba près des cinq sixièmes du domaine de l’Église et une large portion du domaine des nobles. Il en résulte que Napoléon trouva cette bourgeoisie toute disposée à former un des échelons de la nouvelle aristocratie ; il la favorisa aussitôt en consacrant l’influence de la richesse territoriale dans les collèges électoraux, les administrations communales et départementales.

En bonne logique d’ailleurs, est-ce que la diffusion de la propriété pouvait être favorable à la continuité des expéditions militaires ? Est-ce que le paysan, amoureux de sa terre, ami du calme, ne serait pas devenu l’ennemi déclaré de la politique belliqueuse ?

Aussi, on peut constater que le morcellement de la propriété s’arrête dès que s’affirme l’influence gouvernementale de Bonaparte.

Cet arrêt ne se produit pas brusquement d’abord et ne se manifeste pas par des actes officiels : même nous avons sous les yeux des rapports de préfets qui célèbrent, avec une sorte d’enthousiasme, cette division de la propriété.

Voici, par exemple, ce qu’écrit M. Jean Debry, préfet du Doubs, dans son mémoire statistique sur ce département. (Imprimerie nationale an XII) :

« En l’an IX, il y avait dans le département 41 518 propriétaires de biens-fonds, chefs de famille ; on n’en comptait, en 1789, que 39 493. Cette augmentation du nombre des propriétaires est due au partage des biens communaux, à la vente des biens nationaux et à la suppression des ordres religieux.

« Le nombre des hommes vivant uniquement des produits de leurs biens-fonds était très borné en 1789 ; je ne puis en fixer le nombre, parce que je n’ai pu me procurer des données suffisantes ; mais tout porte à croire qu’il était au moins de moitié moindre que celui, de l’an IX ; le dernier nombre étant de 116, on peut penser que celui de 1789 n’excédait pas 50.

« Il était très rare alors de trouver des propriétaires de fonds assez considérables pour vivre de leurs produits, qui n’eussent pas aussi quelques rentes. Aujourd’hui, les remboursements qui ont été faits en papier pendant la Révolution empêchent les propriétaires de fonds de placer en rente l’excédent de leur revenu ; ils aiment mieux conserver leur argent sans produit, en attendant qu’il se présente une occasion de faire une acquisition, que de s’exposer à des chances, fort éloignées sans doute, mais qu’ils redoutent encore.