Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/484

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de tous les Français !… Je compte sur la bonne harmonie qui doit régner entre les citoyens et vous. Vive la République ! »

La proclamation ne fut naturellement jamais envoyée ; un général nommé Lemoine ayant trahi les conjurés, en indiquant la date fixée pour l’exécution du plan, un autre général policier, Guillaume, ayant livré les noms des conspirateurs.

Tous furent successivement arrêtés les uns après les autres, mais comme on ne voulut point faire de bruit sur cette affaire et que Napoléon refusa de laisser se produire au grand jour d’un procès retentissant, les griefs que les conjurés n’auraient point manqué d’adresser au régime impérial, Demaillot, Malet et leurs compagnons virent se fermer sur eux les cachots de l’empire sans qu’un jugement régulier eût été rendu contre eux. C’était la Bastille restaurée. Que disons-nous ? La Bastille ! Mais non, huit bastilles !

En 1810, en effet, le nombre des prisons d’État était porté à huit : les châteaux de Saumur, d’Ham, d’If, de Landkroun, de Pierre Chatel, de Fenestrelle, de Campiono et de Vincennes. Les lettres de cachet étaient rétablies par le décret du 3 mars en vertu duquel un individu pouvait être détenu par une décision rendue en conseil privé, sur le rapport du Grand Juge, ministre de la Justice ou du ministre de la Police.

Pourquoi tant de prisons, d’ailleurs ?

« L’Europe entière, dit Mme de Staël, ne devenait-elle pas une prison ! », une prison où chacun n’avait même plus le droit à l’honneur, puisque les articles 163 et suivants du Code pénal, en restaurant les dispositions les plus odieuses des lois de Rome, de Louis XI ou de Richelieu, punissaient de peines impitoyables ceux qui, ayant eu connaissance d’un complot, ne l’auraient point révélé dans les 24 heures !

Voilà à quel degré d’asservissement était descendu le peuple de France, de quel prix il payait les bulletins de victoire qu’un maître orgueilleux daignait lui adresser en échange de tant de sang répandu, de tant de dignités ensevelies !

Cette servitude s’étendait sur la pensée elle-même sans arrêter cependant le mouvement des sèves qui montaient toujours, comme d’une terre généreuse, de l’intelligence de la France.

CHAPITRE II

LA LITTÉRATURE ET LES ARTS SOUS L’EMPIRE[1]

Le 27 février 1808, la classe de littérature et des belles-lettres de l’Institut vint présenter à Napoléon ses hommages, et Marie-Joseph Chénier fut chargé, au nom de ses collègues, de haranguer Sa Majesté impériale.

  1. Ce m’est un devoir de remercier ici mon excellent ami, Paul-Louis Garnier de la collaboration si éclairée qu’il m’apporta pour cette partie de ma tâche. H. T.