Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/497

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personnage que Chateaubriand sut composer par sa vie. D’ailleurs, nul n’ignore les enfantillages, les puérilités orgueilleuses, les prétentions démesurées et cette extraordinaire suffisance qui forment le fond de son caractère et lui valurent une impopularité justifiée. Il serait oiseux d’en donner à nouveau des preuves ; une page de ses brochures, une page de ses Mémoires d’Outre Tombe suffirait à dévoiler cette pompe dont il semble n’avoir jamais reconnu la sottise et le ridicule.

Plus qu’aucun autre, il paraît désirer l’indépendance, mais c’est moins pour en jouir que pour laisser à l’admiration des hommes le souvenir de cette attitude de fierté, de force et de solitude. Ce désir perpétuel de sauvegarder sa personnalité contre les atteintes d’un pouvoir ou d’une idée qu’il n’accueille point, trouble profondément sa carrière politique ; il avait aussi peu que possible la souplesse requise pour se maintenir dans les postes élevés où la chance l’avait placé ; son avis n’était-il point accepté, son sentiment sincère ne parvenait il pas à prédominer : il se retirait aussitôt, démissionnait, ne sentant point de restrictions ou d’atermoiements, considérant que c’était lui faire injure que discuter ses conseils, car il se crut toujours « l’homme de la situation ».

Les milieux où il passa, les sociétés qu’il connut développèrent un peu chez lui l’ironie ; il a laissé de quelques politiciens d’amusants portraits qui sont un délassement pour cet esprit toujours plongé, semblait-il, dans les plus graves problèmes et les plus lourdes responsabilités.

Il faut noter une fois de plus, avant un très rapide exposé de ses œuvres, la prédominance du sentimentalisme chez Chateaubriand. L’Essai sur la Révolution peut nous faire aisément constater de quelle manière superficielle il s’était assimilé les idées des encyclopédistes. Il nous faut maintenant taxer l’idéologie de Chateaubriand d’enfantillage. Le manque de logique, l’inconsistance de ses propositions, les affirmations, a priori, d’un cœur mené par ses intuitions, l’éducation déplorable qu’il reçut, semblent lui interdire à jamais le domaine des œuvres nourries par la pensée philosophique. Il demeure incomparable dans les seuls livres dont la matière et l’esprit autorisent le lyrisme, le pittoresque ou l’émotion grandiose, dont les moindres aspects de la nature le pénétraient.

Si l’on ne devait à la mémoire de Chateaubriand le respect qui s’attache au souvenir des grands hommes, il serait plus décent de passer sous silence le Génie du Christianisme. La langue, malgré sa richesse et sa pompe, malgré l’émotion religieuse qu’elle paraît celer font suppléer au manque d’idées et à l’étonnante légèreté des affirmations philosophiques. Le christianisme, s’il n’avait, pour sauvegarder son existence et sa durée, que l’apologie rédigée par Chateaubriand serait assuré de perdre bientôt tout crédit auprès de ceux qui se laissent prendre encore au mystérieux et au surnaturel. Les preuves de l’existence de Dieu, très nombreuses au cours de cette