Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/512

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

alors en Boucher. La manière de David était, au contraire, sobre et, si elle n’avait rien des afféteries de son prédécesseur et du style précieux de ses compositions ordinaires, elle décelait néanmoins le louable souci d’une correction académique. Les sympathies de David allaient à un art très différent de celui qu’avaient rendu célèbre les peintres du xviiie siècle, ce n’est point dire qu’il était animé du désir de réaliser des œuvres exemptes de convention : son esthétique ne semblait guère manifester d’originalité ; elle avait seulement l’incomparable avantage de répondre à merveille aux nécessités artistiques du temps. La simplicité altière des attitudes, l’intelligence le groupement des personnages et la composition du milieu, la force pompeuse, l’unité du coloris et l’aisance du peintre à réaliser des ensembles harmonieux et d’un aspect agréable étaient autant de dons heureux auxquels fut attachée la destinée de l’artiste qui les manifestait.

Les Sabines, qu’on voit au Louvre, furent très remarquées ; on aima la pureté, l’exactitude des anatomies ; personne ne songeait alors à chercher sur une toile l’intensité de la vie ou l’émotion de l’artiste. On n’avait pas assez de louanges pour ces compositions habiles, décoratives, où la perfection et la sécheresse y disputent avec la froideur. Une telle nature d’artiste devait enchanter l’empereur. Il n’aimait guère avoir à faire à des caractères absolus, à des personnalités dont il se hâtait de réprimer les excès avec sa violence coutumière. Il ordonna donc que David devint son premier peintre et le chargea tout aussitôt d’exécuter un certain nombre de toiles de dimensions inusitées, où l’artiste devait fixer quelques-uns des événements les plus considérables de l’histoire impériale. Ces sujets cadraient à merveille avec les limites de l’inspiration de David. Ils demandaient une interprétation adéquate à leur essence et la froideur correcte, le sage ordonnancement et l’ennuyeuse sérénité de David convenaient au plus haut point. Parmi ces tableaux, exécutés tous d’après les ordres et les indications techniques de l’empereur, il en est quelques-uns auxquels la destinée donna une incomparable renommée. Il n’est point de village obscur ou de bourg perdu où l’on ne rencontre des reproductions du Couronnement ou de Bonaparte au Saint-Bernard. C’est assurément dans cette dernière toile que David a pu donner la mesure de son talent dans les proportions les plus heureuses. Certaines qualités de vie, de force, de couleur, en s’y manifestant, rehaussent l’intérêt historique de l’œuvre. Évidemment, il ne faut pas, dans l’instant où l’on contemple cette effigie sévère de Napoléon sur un cheval bouillant, songer aux portraits de composition analogue où Van Dyck et Velasquez immortalisèrent les traits de Charles Ier et de Pilippe IV ; notre peintre souffrirait d’un tel rapprochement. Néanmoins, il serait injuste de refuser à David certains dons extérieurs, un métier solide et sûr, un sens très juste de la composition, du groupement, de la mise en valeur des figures et des personnages. Il faut assurément ne pas rechercher en lui les qualités d’observation, de jugement, de critique