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Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/515

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juste titre célèbre qu’est le Radeau de la Méduse. Elle surprend encore par la vigueur et la hardiesse du dessin, par la force du coloris et par de merveilleuses qualités de composition. Les poses et les gestes ont gardé une puissance pathétique qui, le plus souvent, provoque l’admiration ; enfin, pour la première fois, on peut dire que le réalisme faisait son apparition en peinture par le souci d’exactitude, de vérité et d’émotion dont le peintre ne voulut jamais se départir.

L’œuvre, exposée au Salon de 1819, n’obtint point le succès qu’elle était en droit d’attendre. Et ce fut en Angleterre qu’on l’apprécia comme il convenait. Géricault se rendit dans ce pays et il y travailla longtemps. C’est là qu’il composa plusieurs tableaux où il étudie avec un talent pénétrant des animaux, des chevaux. La plus remarquable de ces dernières œuvres est assurément son Grand Derby d’Epsom, qui obtint un prodigieux succès.

Le Louvre, fort heureusement, a reconquis le Radeau de la Méduse, et cette œuvre forte et poignante suffit à prouver toute l’originalité d’un peintre qui, délibérément, abandonnait les règles de l’art officiel pour s’efforcer vers la réalisation d’œuvres remplies seulement de l’émotion que recèle la vie.

Avant de donner quelques détails sur Ingres, il convient de citer un certain nombre d’artistes auxquels des œuvres assurent, à des mérites divers, une renommée durable. On peut dire, en ce sens, de Prudhon que des qualités de charme et de grâce en font un peintre aimable et non dépourvu de talent. Il a laissé des toiles d’un aspect agréable, dans lesquelles il ne faut chercher ni la force ni le pathétique. Tout au plus une émotion légère les pénètre-t-elle ? Il excelle surtout dans les allégories, où sa manière sereine et sobre se fait apprécier. Bien qu’il n’eût pas manifesté une personnalité éclatante, on a gardé le souvenir de quelques-unes de ses toiles qui plaisent par leur élégance, leur grâce et leur distinction : Vénus et Adonis, Zéphyr se balançant dans un bocage, et surtout la Justice et la Vengeance poursuivant le Crime, œuvre d’une inspiration plus forte et d’un dessin plus ferme.

Guérin et Girodet retiennent moins l’attention, encore qu’ils témoignent assez souvent, l’un et l’autre, de certaines qualités d’expression dramatique et de composition. Mais ce sont là surtout des peintres zélés, occupés à acquérir un métier solide, plus important à leurs yeux que l’inspiration. Nous avons dit quelques mots de Gros. Ce fut, en effet, un des peintres les plus convaincus de la grandeur de l’époque impériale. Ses œuvres sont imprégnées de sa sincérité. Souvent, dans des sujets de la plus simple réalité, il obtient les plus pathétiques effets par son zèle à reproduire, dans toute leur vérité, les traits des personnages qu’il représente. La lumière des toiles de leur Gros est souvent peu agréable, lourde ; il n’a point acquis la perfection de la manière, et ne possède point les qualités de composition, de méthode et de froideur majestueuse et correcte de son maître David. Mais il nous émeut