Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/514

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intentions de n’admettre dans la lice que des tableaux utiles. Il ne fallait pas songer à se laisser aller à l’enthousiasme d’une inspiration libre ; des devoirs civiques s’imposaient désormais aux artistes soucieux de posséder quelques droits aux récompenses promises. C’est ainsi qu’il fut ordonné que les tableaux apportés au concours seraient rangés en deux catégories : la première, qui comprenait les tableaux d’histoire ; la seconde, dont le titre suscite encore un étonnement légitime, était rigoureusement réservée aux toiles représentant « un sujet honorable pour le caractère national ». On ne consentit aucune autre place aux œuvres qui ne se conformaient point strictement aux exigences précises de ces deux catégories. Malgré que l’imagination des artistes fût ainsi enchaînée, obligée de se mouvoir dans des limites où ne pouvaient accéder que des tempéraments doués de manière toute spéciale, quelques-unes des œuvres exposées sont assurément parmi les plus belles que nous ait léguées l’époque impériale. C’est là que David exposa ses Sabines et son Couronnement, qui lui valut le prix décerné au meilleur des tableaux représentant « un sujet honorable pour le caractère national ». Girodet, Gros, Guérin, Carle Vernet s’y firent justement remarquer par des toiles où leur talent se manifestait avec beaucoup d’éclat.

Au Salon de 1812, « la foule, dit R. Peyr, dans son livre fort documenté sur Napoléon Ier et son temps, s’arrêtait avec plus d’étonnement que d’admiration devant l’Officier des guides chargeant, qui était la première manifestation du talent d’un peintre de vingt ans, Théodore Géricault ».

Celui qui se signalait ainsi avec, cette force et cette précocité à l’attention du public devait laisser des œuvres auxquelles on ne saurait refuser ni l’originalité ni le talent. David, en voyant les premières œuvres de l’artiste, ne retint point sa surprise, et nul n’en fut étonné en raison des qualités de vie, d’ardeur et de pathétique que Géricault semblait manifester le premier dans cette période de la peinture impériale. Les œuvres principales laissées par Géricault sont : le Cuirassier blessé quittant le feu, le Carabinier, plusieurs toiles représentant des sujets analogues. Il en est d’autres dont nous voulons dire quelques mots, en raison de leur profonde valeur, et qui ne furent composées qu’assez longtemps après les premières.

Géricault avait, en effet, après le Salon de 1812, accompli un voyage en Italie, d’où il rapportait des études nombreuses, des projets. En rentrant à Paris, il fut vite mis au courant des événements tragiques qui avaient accompagné le naufrage de la Méduse. Il eut tout aussitôt le dessein d’une grande composition groupant quelques-uns des malheureux qui avaient, au prix de surhumains efforts, prolongé pendant quelques jours, à l’aide de planches et de cordes, leur misérable existence. Tout à la réalisation de son œuvre, Géricault se rendit dans les hôpitaux, étudia sur place des expressions, connut la douleur effroyable des agonies. Une série de dessins, d’ébauches et un souci remarquable de sincérité présidèrent à l’achèvement de cette œuvre à