Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/545

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fâcheux, mais elle ne peut naître que parmi ceux qui, sans boutique, restent désœuvrés dans les auberges… Or, comme la police a les yeux plus particulièrement ouverts sur ceux-ci, tout mouvement qui naîtrait parmi eux serait bientôt comprimé.

Si les garçons bouchers étaient moins occupés et en plus grand nombre, ils pourraient quelquefois inquiéter, mais la dissémination des échaudoirs contribue beaucoup à leur tranquillité et plus encore la facilité qu’ils ont de se dédommager, par de petites infidélités, d’un refus d’augmentation de salaire.

Suit un rapport sur la situation physique de tous ces ouvriers, rapport qui constate l’affreuse situation sanitaire des ouvriers boulangers :

Les garçons boulangers, dit-on, sont très sujets aux maladies ; elles se guérissent assez ordinairement par le repos quand ils sont jeunes ; mais, à cinquante ans, ils sont presque tous décrépits, peu vivent au-delà de cet âge. Les catarrhes, l’asthme convulsif, le scorbut en tuent le plus grand nombre entre quarante et cinquante ans.

La cause de cette décadence physique est dans le défaut de sommeil, l’exposition presque continuelle à une chaleur artificielle excessive, l’inspiration constante et dans le travail du pétrissage et dans les manipulations préparatoires, d’une quantité de farine volatilisée, une insigne malpropreté, enfin dans les suites affreuses de la maladie vénérienne à laquelle ces malheureux s’exposent avec fureur lorsque la fatigue les force à prendre du repos ou lorsque, par paresse ou inconduite, ils sont sans travail. »

Si, d’après ce rapport de police, les garçons bouchers et charcutiers sont dans de meilleures conditions hygiéniques, les garçons pâtissiers, par contre, sont exposés à peu près aux mêmes causes mortifères qui déciment les boulangers. Les garçons marchands de vins subissent des fièvres gastriques, des entérites, des dysenteries qui terminent en général leur carrière avant cinquante ans !

Le policier envisage encore l’état moral de ces ouvriers et se livre à la savoureuse étude psychologique que voici :

« Ici les nuances sont encore plus multipliées : elles sont importantes à connaître parce qu’elles intéressent l’ordre social.

« Les garçons boulangers, par la nature même de leur travail, sont une espèce de troglodytes ; ils dorment le jour, travaillent la nuit et, par là, sont pour ainsi dire séquestrés de la société.

« Aussi forment-ils une classe à part de tous les autres ouvriers ; ils s’éloignent d’eux-mêmes de toutes les autres réunions sociales. Grossiers, brutaux, ils végètent quand ils sont occupés ; et, quand ils ne le sont pas, ils se jettent dans la crapule la plus effrénée.

« L’ivrognerie, le jeu, les plus dégoûtantes prostituées occupent tout leur être ; leurs querelles sont toujours sanglantes ; peu sont voleurs et une