Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/571

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qu’en raison de la multiplicité des ateliers : ici, c’est le morcellement des terres qui, en occupant plus de bras que les grandes exploitations, en laisse moins à la disposition de l’industrie, de l’agriculture même, et les met dans la nécessité de subir la loi du journalier.

« Dans les villes, le prix de la main-d’œuvre excédait, avant 1789, celui de la plupart des campagnes ; il leur est actuellement inférieur. Le journalier des villes est devenu misérable et souvent désœuvré par la dispersion des capitaux et des fortunes qui y étaient rassemblés, tandis que celui des campagnes a recueilli tous les avantages de la Révolution : l’un est réduit à solliciter de l’ouvrage, tandis que l’autre a presque besoin d’être sollicité. »

Et le ton de M. Colchen s’assombrit singulièrement, comme on voit, en constatant une situation économique qui permet à des travailleurs d’imposer des salaires si élevés : 1 fr. 25 par jour !

Une dernière enquête nous est enfin fournie par M. Dupin, préfet des Deux-Sèvres. Celui-ci n’aime point d’abord que les enfants s’amusent, et il proteste contre le retard que mettent les parents à tirer profit de leur progéniture :

« À la honte du département, dit-il, on ne peut fixer qu’à quatorze ou quinze ans l’âge où les parents retirent quelque utilité de leurs enfants, si l’on excepte ceux des laboureurs employés dès l’âge de neuf ou dix ans à la garde des brebis ; jamais on ne les voit occupés, comme ailleurs, à fabriquer quelques cages ou paniers, quelques ouvrages en paille ; ils ne savent que couper les haies, écorcher les arbres, détruire les murs de clôture pour en retirer les limaçons, courir, jouer ou se battre.

« À la ville, une mère commence à retirer quelques services de sa fille à dix ans ; à la campagne, on attend jusqu’à douze, à moins qu’on ne l’emploie à la garde des brebis. »

Ce n’est pourtant pas l’élévation des salaires qui dicte aux parents une telle modération dans l’exploitation du travail enfantin. En voici le taux, presque identique à celui des départements précédemment étudiés :

« Journaliers nourris. — À la ville, en 1789 : 0 fr. 60 ; En l’an IX : 0 fr. 75.

« À la campagne, en 1789 : 0 fr. 50 ; en l’an IX : 0 fr. 60.

« Journaliers se nourrissant. — À la ville, en 1789 : 1 franc ; en l’an IX : 1 fr. 25.

« À la campagne, en 1789 ; 0 fr. 75 ; en l’an IX : 1 franc.

Salaires industriels.

« Salaire que l’employeur donne par jour à chaque ouvrier :

« Bimbelotiers, 0 fr. 75 ; bonnetiers, 0 fr. 30 ; carriers, 1 fr. 25 ; fabricants de chapeaux, 1 franc ; charpentiers, 1 fr. 25 ; cordiers de fil de chanvre, 1 fr. 25 ; faïenciers, 1 franc ; tulliers, 0 fr. 75. »