Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/572

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Tels sont les documents que nous avons pu recueillir sur la condition des travailleurs à Paris et dans les départements, pendant la première partie du régime impérial. Nous n’avons pu en trouver de décisifs en ce qui concerne les dernières années du premier Empire ; mais il est plus que probable, qu’en raison des terribles crises de chômage dont nous avons longuement parlé, les salaires eurent plutôt une tendance à baisser : dès lors, sans exagération, on peut prétendre que Napoléon, en partant pour l’île d’Elbe, laissa les travailleurs de France aussi misérables, sinon plus, qu’à la veille de la Révolution. La bourgeoisie, presque exclusivement, avait pu profiter de la chute de l’ancien régime : les serfs de jadis étaient restés des prolétaires taillables et corvéables à merci ; seul avait changé, pour eux, le nom de leurs exploiteurs.

Nous en aurions terminé avec cette étude trop incomplète, hélas ! de la classe ouvrière, s’il n’importait, avant de jeter un rapide coup d’œil sur la situation agricole, de rappeler, aussi brièvement que possible, la survivance à cette époque de la vieille institution du compagnonnage. N’était-ce point, au demeurant, le seul lien qui pût maintenir, parmi les ouvriers, le sentiment de l’association, depuis la suppression des corporations.

Le fameux décret de 1791, voté sur la proposition du député Le Chapelier, disait en son article 1er :

« L’anéantissement de toutes espèces de corporations des citoyens du même état et profession étant l’une des bases fondamentales de la Constitution française, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit. »

Et l’article 2 précisait en ces termes :

« Les citoyens d’un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers d’un art quelconque, ne pourront, lorsqu’ils se trouveront ensemble, se nommer ni président, ni secrétaire, ni syndic, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs. »

La pensée de Le Chapelier, en proposant le vote d’un pareil décret, est clairement exprimée d’ailleurs dans son exposé des motifs. C’est la hausse des salaires qu’il veut éviter, et toute forme d’association lui paraît détestable, tant il redoute que, même sous la forme de société de secours, ne se dissimulent des efforts faits par les travailleurs pour l’amélioration de leur sort.

« Le but des assemblées d’arts et métiers, dit-il, est de forcer les entrepreneurs de travaux, les ci-devant maîtres, à augmenter le prix de la journée de travail, d’empêcher les ouvriers et les particuliers qui les occupent dans leurs ateliers de faire entre eux des conventions à l’amiable, de leur faire signer sur des registres l’obligation de se soumettre au taux de la journée de travail fixé par ces assemblées, et autres règlements qu’elles se permet-