Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/577

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mation réalisée depuis la Révolution dans le régime de la propriété, c’est la mise en valeur d’une foule de terres laissées auparavant incultes et que les grands propriétaires gardaient pour le seul usage du gibier.

Ce sont des fantaisies que n’autorise plus avec raison le régime impérial et il convient d’enregistrer sur ce point un mot prononcé par Napoléon au Conseil d’État, mot curieux que peuvent recueillir les socialistes, peu accoutumés pourtant à abriter leurs doctrines derrière l’autorité d’une parole impériale :

« Je ne souffrirai pas, dit-il un jour, qu’un particulier frappe de stérilité 20 hectares de terrain dans un département fromenteux pour s’en former un parc. Le droit d’abuser ne va pas jusqu’à priver le peuple de subsistance. L’abus de la propriété doit être réprimé toutes les fois qu’il nuit à la société : c’est ainsi qu’on empêche de scier les bois verts, d’arracher les vignes renommées, etc., etc… »

Sans attacher plus d’importance qu’il ne convient à cette phrase, nous ne saurions toutefois considérer comme négligeable une déclaration qui oppose l’intérêt de la société à l’intérêt individuel et se prononce fermement en faveur du premier : nous savons des hommes qui se disent les continuateurs des traditions de la grande Révolution et qui ne mettraient pas tant de hardiesse à proclamer les droits de la société vis à vis du caprice malfaisant d’un détenteur de la propriété.

Donc, Montalivet, d’abord, Chaptal, ensuite, voient dans l’augmentation du nombre des petits propriétaires une des causes de la prospérité agricole de la France.

De cet avis paraît être aussi M. le comte de Villeneuve, préfet des Bouches-du-Rhône, dont le mémoire statistique, il est vrai, ne fut publié qu’en 1829, mais qui étudie la situation du département pendant la période impériale.

Nous trouvons dans les quelques pages qui suivent un intéressant exposé des avantages respectifs de la grande et de la petite propriété :

« Dans plusieurs contrées un peu éloignées des grandes villes, dit M. de Villeneuve, dans ces lieux où les possesseurs des grandes fortunes ne forment point une concurrence capable de hausser hors de proportion le prix des terres, les journaliers peuvent, à force d’économies ou par des arrangements peu onéreux, se rendre propriétaires d’un petit champ. Ils le cultivent à temps perdu : ils y travaillent depuis l’aurore jusqu’à l’heure de commencer la journée qu’ils louent au bourgeois, et le soir ils trouvent encore le moyen d’employer une heure pour eux-mêmes. Les jours perdus pour les autres journaliers ne le sont pas pour eux. Ils possèdent une foule de provisions que les autres sont obligés d’acheter, et une sorte d’aisance règne dans leur ménage. Les femmes, les enfants s’y occupent utilement selon leurs forces, et, en général, dans les villages et les hameaux où le paysan est