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par les commissions, le titre de premier consul. Il n’y a pas d’inconvénient pour notre étude à conserver cette division ; mais, afin de mettre en lumière l’enchaînement rationnel des phénomènes historiques, nous éviterons de suivre rigoureusement la méthode dite chronologique.

Comment Bonaparte, une fois maître du pouvoir, a-t-il usé de sa victoire ? Comment a t-il continué à réaliser le rêve de domination qu’il portait en lui ? Voilà ce qu’il nous importe avant tout de savoir maintenant. C’est pourquoi ce chapitre se rapproche étroitement de tout ce que nous avons dit de la Constitution de l’an VIII.

Cette constitution incomplète, Bonaparte a dû en appliquer au moins toutes les dispositions nettement énoncées et, par elles, poser les bases de l’ordre nouveau. En outre, profitant de ses obscurités, il a été amené à la compléter par des mesures émanant de sa seule autorité.

Laissant donc de côté momentanément tous les autres faits de politique intérieure, tous les actes de politique extérieure, nous nous attacherons à étudier l’installation des pouvoirs publics, tels qu’ils ont été organisés par la Constitution et nous mettrons en lumière les procédés dictatoriaux qui ont remis à Bonaparte la souveraineté de l’opinion et ont centralisé dans sa main toute l’administration de la République.

A. — INSTALLATION DES POUVOIRS

Bonaparte adressa au peuple français, aussitôt que les consuls furent entrés en fonctions, une proclamation dont il est aisé de décrire le sens : « La modération est la base de la morale et la première vertu de l’homme… Sans elle, il peut bien exister une faction, mais jamais un gouvernement national. »

Le langage que tient Bonaparte n’est en somme que l’expression des principes qui ont dirigé les actes du consulat provisoire. Les mots d’ordre, de justice, de force, que l’on rencontre à chaque ligne de la proclamation consulaire, y figurent pour frapper les esprits, mais en réalité ils ne recouvrent rien que l’ambition du premier consul.

« Sans la modération il n’y a pas de gouvernement national », dit-il, et il pensait surtout que sans lui il n’y avait pas de gouvernement ! La proclamation du 4 nivôse ne présente pas un intérêt considérable, car elle ne nous apprend rien de nouveau sur Bonaparte et nous n’en retiendrons que cette phrase, qui peut-être est la seule sincère et qui, en tous cas, nous donne bien l’expression d’un sentiment du premier consul : « La science et l’art de la guerre se composent de toutes les sciences et de tous les arts. » Il y a là un trait de lumière : au milieu de l’organisation du pays, dans l’instant où toutes ses facultés semblent tendues vers le désir de bien gouverner, selon « l’ordre, la justice et la force », Bonaparte songe que l’art de la guerre est supérieur