Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/59

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tous les autres. Et, au fait, n’a-t-il pas déployé tous ses talents d’administration et de politique dans ce seul but : faire la guerre, cultiver cet art primordial qui lui donna Marengo, Austerlitz — et Waterloo !

Sept ministres furent nommés par le premier consul qui les choisit parmi des hommes ayant déjà figuré dans l’administration supérieure du pays et aussi parmi des nouveaux venus aux affaires. À la justice, prit place le conventionnel Abrial ; aux Relations extérieures, Talleyrand, l’homme le plus souple de son temps, conserva son portefeuille. Laplace, par contre, perdit le sien : ce grand savant apportait trop de minutie dans l’exercice de ses fonctions et Bonaparte l’envoya au Sénat pour le remplacer par son frère Lucien. Gaudin resta aux Finances ; le fidèle Berthier, à la guerre ; Forfait eut la Marine et les Colonies ; Fouché, la Police générale dont l’importance allait s’accroître prodigieusement avec le progrès du despotisme. Maret, avec le titre de secrétaire d’État adjoint aux consuls, compléta ces désignations : son rôle était d’assister aux séances des consuls, d’en dresser les procès-verbaux et de servir d’intermédiaire entre les consuls et les ministres. Ceux-ci, dès le premier jour, se préoccupèrent de n’avoir de relations qu’avec le premier consul, et c’est en Bonaparte que réside l’unité ministérielle.

À côté des ministres, agents directs de sa volonté, le général installa sans tarder le Conseil d’État qu’un décret du 3 nivôse avait définitivement organisé. La place faite à ce corps dans le gouvernement fut capitale. Divisé en sections — sections de la guerre, de la marine, des finances, de législation civile et criminelle, de l’intérieur — le champ laissé à son activité était immense. Élaborer des projets de lois, faire des enquêtes, donner des règlements en toutes matières, « développer le sens des lois », telles étaient les principales attributions du Conseil d’État. Bonaparte les confia à des hommes touchant à tous les partis, mais connus par leur probité et leur aptitude au travail. Toujours selon son procédé de fusion des nuances, il y appelle : Rœderer, Boulay de la Meurthe, Brune, Marescout, Devaisnes, Dufresne, Chaptal, Ganteaume, Thibaudeau, Réal, Régnier, Fourcroy, Benezech. Locré fut nommé secrétaire général du Conseil. C’est au milieu de tous ces hommes formant son « équipe personnelle[1] » que Bonaparte se rendit souvent pour discuter et s’instruire de tous les rouages gouvernementaux. A côté du Tribunat et du Corps législatif à l’influence médiocre, à l’initiative nulle, le Conseil d’État devient le centre du régime.

Il semble gouverner avec Bonaparte, mais n’oublions pas que le premier consul révoque à volonté les conseillers d’État, et que tous ceux qui furent appelés à siéger au Conseil étaient ou de ses créatures, ou de ses obligés. Leur valeur ne peut être mise en doute ; ils ont accompli une œuvre prodigieuse, mais s’ils avaient tenté de dépasser les vues du premier consul, ils

  1. Vandal, op. cit., p. 546.