Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/593

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fait ordonner par le Sénat. Le 14 novembre 1813, il reçut Saint-Aignan, ministre de France à Weimar, que les Alliés avaient choisi comme intermédiaire auprès de lui. Les conditions offertes, moins avantageuses bien entendu que celles proposées au congrès de Prague, étaient cependant très acceptables, précisément dans un temps où la France exténuée se trouvait dans l’impossibilité d’en exiger la modification à son profit. Elles stipulaient que les frontières du pays seraient désormais constituées par les Alpes, le Rhin et les Pyrénées ; elles demandaient en outre l’abandon de toutes les prétentions françaises sur l’Allemagne, la cession pure et simple de l’Italie, de l’Espagne et de la Hollande. Napoléon ne se montra point intraitable, et cette adhésion, insuffisamment explicite d’ailleurs à de telles bases de convention, n’en constitua pas moins l’aveu singulièrement évident d’une déchéance et d’un délabrement graves. Caulaincourt fut désigné pour se rendre à Mannheim ; il eut, quelque temps, l’espoir de mener à bien des négociations qu’il croyait pouvoir tenir pour sincères ; mais force lui fut de se détromper au plus tôt. Les Alliés n’attendirent point la réponse de l’Empereur et les explications de Caulaincourt ; pressés par Metternich qui leur montrait combien les circonstances étaient propices à la ruine de la France, ils arguèrent de leur patience vaine, de leur longanimité, de l’impossibilité où ils étaient d’attendre plus longtemps ces déclarations loyales qu’on semblait cependant tout disposé à faire ; le 1er décembre, un manifeste, portant la signature des puissances alliées, fit connaître, contre toute vérité, que les propositions de paix n’avaient point été agréées comme il eût été désirable qu’elles le fussent ; qu’en conséquence, la lutte allait recommencer, mais que les coups n’en seraient point dirigés contre la France et se tourneraient contre Napoléon que l’Europe voulait châtier pour son impudente audace et ses méfaits despotiques. La note par laquelle Caulaincourt instruisait les alliés de l’acceptation de l’Empereur, en réponse aux propositions que nous avons relatées un peu plus haut, ne parvint que vingt-quatre heures après la déclaration du 1er décembre ; elle n’en atténua point les conséquences et ne retarda pas l’exécution des desseins de la coalition. Tandis qu’au-delà des frontières de France s’amoncelaient des tempêtes, tandis que la cause de la coalition, devenue celle de l’Europe entière, suggérait dans tous les cœurs d’incroyables passions, les événements les plus graves annonçaient à l’intérieur des périls inconnus jusque là. Une crise économique sévissait sur le pays, et la situation politique de la France à l’égard de l’Europe venait d’en aggraver encore les effets. Le crédit national subissait une déchéance considérable ; le marché financier n’était pas moins atteint, et les valeurs officielles françaises, étrangement dépréciées, tombaient à des taux et à des évaluations dérisoires.

Tandis que, désormais incapables d’être contenues, les haines éclataient contre l’Empereur, à l’intérieur du pays, tandis que les Bourbons, pressentant le déclin d’un régime qu’on commençait d’exécrer, menaient une active