Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/594

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campagne pour le rétablissement de leur popularité et conséquemment de leurs privilèges dynastiques ; tandis que de toutes parts, et grâce au zèle empressé d’agents convaincus, on vantait les mérites pacifiques du futur Louis XVIII, la loyauté des desseins des Alliés, des nouvelles pathétiques achevaient d’angoisser les esprits et de semer partout l’épouvante : les armées coalisées venaient de franchir le Rhin, et une force de trois cent mille hommes répartis en deux corps, l’un sous Schwartzenberg, l’autre sous Blücher, envahissait le territoire national.

Les plus douloureux pressentiments affluaient de toutes parts ; alors qu’on eût souhaité jeter au plus vite contre les armées de l’invasion, des bataillons enthousiastes, susceptibles de les refouler ou de les maintenir, les renseignements fournis par les provinces témoignaient des difficultés insurmontables qui s’opposaient aux levées de conscrits décrétées par le Sénat. Enfin, l’opinion publique, s’associant dans une certaine mesure aux protestations des individus contre les désastres voulus qui nous menaçaient de tous côtés, se répandait en anathèmes contre l’Empire ; tandis que dans les campagnes, on se dérobait à l’enrôlement obligatoire par des défections sans nombre, dans les villes on résistait à l’accomplissement des mesures exigées par le fisc ; les finances publiques perdirent ainsi, dans les trois premiers mois de 1814, près de cinquante millions. C’est enfin vers cette époque, que les pamphlets inspirés tantôt par un libéralisme fougueux et imprégnés de souvenirs révolutionnaires, tantôt animés d’un zèle non déguisé en faveur des héritiers légitimes du trône de France, se multiplièrent.

Le désordre général, la défiance unanime, la rébellion ouverte des esprits dans les villes n’étaient pas les seuls pressentiments funestes que Napoléon avait attirés par ses fautes et les excès de son ambition. La détresse, en effet, régnait partout ; on ne savait où trouver des armes pour les hommes que la conscription venait de grouper en régiments improvisés ; les services d’intendance fonctionnaient d’une façon dérisoire ; rien n’était prêt ; quelque surprenants que fussent les prodiges d’activité fiévreuse accomplis, durant cette période, par Napoléon, la France épuisée, ruinée, ne pouvait lutter contre le destin ; une démoralisation complète envahissait l’armée.

Avant de rejoindre l’armée que sa présence devait, une fois encore, imprégner en quelque sorte de valeur et de courage, Napoléon, prescrivit l’exécution de mesures nouvelles ; ce furent des levées d’impôts, des ordres relatifs à l’administration et à l’armée, et ce fut surtout la fortification hâtive de Paris.

L’empereur fit ceindre la capitale à l’aide de plusieurs lignes de défense, qui ne devaient avoir qu’une médiocre efficacité en raison de l’insuffisance des matériaux employés, de leur résistance imparfaite et de la précipitation avec laquelle ces travaux furent exécutés.

Le 24 janvier 1814, après avoir remis le gouvernement entre les mains de l’impératrice, Napoléon fit de solennels adieux aux grands dignitaires de