Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/598

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de Blücher, allait provoquer une recrudescence d’ardeur dans la lutte. Pour résister à ce mouvement sur la capitale et aux éventualités d’une attaque de l’armée de Schwartzenberg, Napoléon ne disposait que d’un petit nombre de troupes, dont son génie d’organisateur et de conquérant allait néanmoins faire le plus merveilleux usage. À une certaine distance en arrière de son armée se tenaient Marmont et Mortier, à la tête de 16 000 hommes environ. D’autres parties du territoire français étaient également occupées par des troupes bien disciplinées, et qui s’efforçaient de leur mieux à enrayer les progrès de l’invasion. Augereau avait près de 30 000 hommes avec lui, dans la direction du Rhône. Soult opposait aux Anglo-Espagnols de Wellington, cantonnés près de l’Adour, une troupe peu nombreuse, mais exercée. Suchet, à la tête de 40 000 hommes, maintenait en Espagne le respect de la domination française. Eugène agissait vigoureusement en Italie contre les Autrichiens, tandis qu’en Allemagne et en Hollande des garnisons françaises, disséminées dans un grand nombre de places fortes, infligeaient de sérieux et fréquents échecs aux troupes ennemies chargées de les déloger.

Ainsi, quelque graves que fussent les événements, quelque critique, que fût la situation de la France, cette coalition générale de l’Europe, cette levée de nations unanimes dans leurs ressentiments et leurs désirs de vengeance ne donnaient point les résultats triomphants et rapides que tous attendaient de leur commun effort. Certes, les alliés étaient au cœur du territoire, et la marche de Blücher sur Paris, si imprudente qu’elle ait été, avait alors une signification dont nul n’atténuait l’importance ; mais chaque fois que la coalition avait tenté contre les troupes impériales un effort décisif, elle avait essuyé un échec ou subi de graves pertes. La présence seule de Napoléon semblait infirmer à l’avance l’efficacité des offensives de l’ennemi.

Les campagnes étaient devenues le théâtre des plus sanglants exploits. De mémoire d’homme, on ne se souvenait point de violences pareilles : les barbares, qui formaient le meilleur des contingents russes et prussiens, s’abandonnaient aux crimes les plus exécrables, et donnaient libre cours à des instincts ignobles ; un compte rendu sommaire de leurs plus sinistres méfaits formerait le plus éloquent et le plus terrible procès qui soit de la guerre et de ses hideurs.

Tandis que l’invasion mettait ainsi le pays à feu et à sang, des négociations, ouvertes à Châtillon le 6 février, se prolongeaient sans résultat. Des deux côtés, la fourberie était pareille, et l’on ne sait quels mobiles invoquer pour justifier ces simulacres de bonnes intentions, dont le plus sûr résultat allait être un renouveau de fureur belliqueuse. Les conditions des alliés étaient dures : elles impliquaient à Napoléon le renoncement à toutes ses conquêtes, et l’imposition à la France des frontières de 1789. La diplomatie de la coalition n’ignorait point que ces conditions étaient inacceptables pour Napoléon, auquel elles infligeaient un déshonneur sans pardon.