Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/77

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

considérée comme séditieuse en janvier 1800 ! « Écoutons » plutôt la police[1] : « Dans presque tous les cantons, les malveillants ont voulu abuser de la tolérance philosophique du Gouvernement, pour persuader au peuple que la sonnerie était une partie inhérente au culte, et que, la liberté illimitée du culte étant rendue, ils pouvaient et devaient sonner les cloches ; mais une circulaire persuasive et ferme du département et de son commissaire a tout fait rentrer dans l’ordre. »

C’est que, si le gouvernement entend être tolérant, il n’entend pas favoriser une réaction, et c’est le propre de la religion romaine : dès l’instant où on paraît devoir relâcher toute surveillance, les ministres du culte catholique se multiplient dans des campagnes violentes qui n’ont d’autre objet que d’aboutir à l’anéantissement de toute liberté… « Vous verrez que ces prêtres vont reprendre leurs prétentions, leurs vues cupides et ambitieuses…, ils vont exciter les bigots contre les républicains. Qui sait s’ils ne porteront pas leurs prétentions plus loin ? On dit qu’ils se proposent de demander que la religion du pape devienne nationale, exclusive, etc. Enfin quelques prêtres ont porté l’impudence jusqu’à espérer qu’ils détermineront les consuls à aller à la messe… »[2]. C’est un journal partisan de la liberté des cultes qui parle, mais c’est un journal républicain pour qui le rêve semble être de voir le triomphe des idées républicaines donné comme fin rationnelle de toutes les religions. Cela nous paraît invraisemblable et cependant cet état d’esprit a existé, témoin la circulaire de Laplace au clergé de l’Église ci-devant constitutionnelle en date du 26 brumaire an VIII. Le ministre de l’intérieur y expose nettement que la lutte entre les diverses religions doit viser à ce seul résultat : faire le plus d’adhérents possible à la République. « C’est en vain, dit-il, qu’on tiendrait un langage différent dans les prédications qui sont entendues et dans les confessions qui sont secrètes : le secret de vos inspirations dans ce tribunal où vous disposez des âmes sera révélé par les dispositions des âmes que vous dirigez et que vous formez. »

Quels cultes coexistaient donc en France pendant le régime de la séparation appliquée dans l’esprit que nous venons de voir ? Nous retrouvons les théophilanthropes, le culte décadaire, le judaïsme et le protestantisme qui ne sont pas des religions de « combat » et demeurent en dehors des agitations politiques, au contraire de la religion catholique toujours divisée en deux parties : l’église ci-devant constitutionnelle et l’église papiste.

Les théophilanthropes, dont la plupart avaient applaudi et quelques-uns coopéré au coup d’État du 18 brumaire, purent continuer l’exercice de leur culte sans rencontrer la moindre hostilité. La « religion naturelle » fut

  1. Compte général sur la situation morale, politique et civile du département de la Seine rendant le mois de nivôse, an VIII. (Arch. nat. Fvii 7 627.) Voyez, sur l’application des lois du 7 vendémiaire et du 2 germinal, an IV, interdisant l’exercice extérieur du culte, la circulaire énergique de Fouché, du 13 floréal, an IX.
  2. Ami des lois, 13 nivôse an viii.