Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/78

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même exposée dans ses grandes lignes par l’Ami des Lois en réponse à des attaques dirigées contre elle peu après le coup d’état. Les théophilanthropes paraissaient à ce moment aussi nombreux qu’auparavant ; or ils étaient à la veille de disparaître et l’article de l’Ami des Lois est la dernière grande manifestation de leur existence. Le voici intégralement[1] : « Les vrais amis de Dieu sont les vrais amis des hommes. Simples dans leur doctrine, ennemis du faste et des grandeurs, les théophilanthropes ne peuvent qu’inspirer la confiance aux esprits solides, entraîner les suffrages et généraliser les prosélytes. Leur culte, sans appareil, est fondé sur la croyance à l’Être Suprême, sur le dogme de l’immortalité de l’âme, sur l’amour conjugal, le respect dû à la vieillesse, la piété envers les parents et la bienfaisance. Ce culte s’établit sans disputes théologiques, sans dragonnades, sans effusion de sang, car les théophilanthropes ne forcent personne de croire. Le texte de leur évangile est la voûte du firmament, et Dieu est la conclusion de ce livre sublime. Ils n’adorent aucune image taillée, laissant volontiers aux prêtres catholiques le soin de rendre Dieu visible ou invisible au gré de leur avarice. Le tabernacle des théophilanthropes c’est l’univers, dont le tableau déploie aux regards louches de l’athée les merveilles ineffables de la création et plonge le croyant dans un perpétuel enivrement. Les fleurs, les prémices des moissons, les fruits dont la terre est couverte couvrent les autels et en font la seule décoration. Ils les présentent à l’Éternel comme le gage de la reconnaissance, ils lui offrent de même le jeune enfant, paré des grâces de son âge et de son innocence ; ils initient celui qui vient de naître aux éléments de la nature et lui soufflent l’esprit créateur. À la terreur de l’enfer, aux flammes du purgatoire, aux pantomimes de la messe, à l’oreille impudique des confesseurs, ils ont substitué le rudiment de la raison. Ils distillent dans le cœur des enfants les leçons de la sagesse ; ils persuadent aux femmes de chérir leurs époux, ils enseignent aux hommes à se chérir entre eux et à se vouloir le même bien qu’à soi. Ils leur font envisager la mort comme le commencement de l’immortalité et les pénètrent de respect et de reconnaissance pour les invincibles défenseurs de la patrie. La paix florissante donnera sans doute à cette affiliation plus de pompe et de solennité ; alors une symphonie harmonieuse exécutera dans toute sa majesté l’hymne au Père de l’Univers. » Hélas ! la « symphonie harmonieuse » ne s’est pas fait entendre ! Bonaparte engloba les théophilanthropes dans sa haine à l’égard des « idéologues »[2]. Le rapport de police à la date du 22 nivôse an IX nous rapporte le fait suivant : « La secte des théophilanthropes, depuis son origine, est dans l’usage de tenir ses assemblées dans les églises et d’y exercer son culte particulier, autorisé comme tous les autres par le gouvernement. Les partisans de la religion catholique, depuis la liberté dont ils jouissent,

  1. 20 frimaire.
  2. Archives nationales F7 3702.