Page:Jaurès - Histoire socialiste, VI.djvu/99

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étranger, à l’encontre de ses règlements à elle, applicables à ses sujets catholiques. Quoi qu’on en puisse dire, c’est là qu’est la cause profonde de tant de conflits et de tant de troubles. Après une étreinte formidable où Rome avait enserré le monde, après de sourdes révoltes écrasées dans le lointain des siècles, à la lueur des torches et des bûchers, après l’effort toujours plus conscient et partout propagé des esprits affranchis et des bras libérés, nous avions, nous aussi, rompu l’emprise romaine et il a fallu qu’un homme vînt qui ne nous asservît pas seulement à sa volonté, mais encore introduisît, pour une conquête nouvelle avec des armes neuves, l’irréductible ennemi de toutes les libertés dans le pays qui les avait proclamées et qui l’avait chassé.

Réintroduite en France par le Concordat avec une situation privilégiée, la puissance romaine a pu reprendre son travail de désagrégation, ruiner lentement et selon des chances variables, mais avec la persévérance qui fait la force de son action, tout l’édifice civil de l’État moderne. Bonaparte avait pensé calmer les justes appréhensions des républicains et des adversaires de Rome en exigeant du clergé un serment de fidélité à la Constitution. Ce serment, qui avait été l’occasion de tant de luttes sanglantes, est inscrit dans le Concordat (art. 6 et 7), mais il n’y figure plus qu’à titre de souvenir. Il n’est plus prêté depuis le 5 septembre 1870, date du décret abolissant le serment politique. Et, encore et toujours, voici donc une disposition concordataire non observée : c’était une mesure de garantie utile au pouvoir civil, on l’a fait disparaître ! Nous ne nous illusionnons pas sur la valeur d’un tel serment, mais nous faisons remarquer simplement une fois de plus que le Concordat n’est pas respecté dans toute son intégrité, et nous demandons alors si le pays républicain et libre-penseur se laissera leurrer longtemps. On objecte en vain que le décret de 1870 s’applique aux prêtres : leur situation est réglée par un acte passé avec un chef étranger, cet acte constitue une loi française, et il faut pour l’abroger une autre loi spéciale. Jusque là, il faut ou respecter intégralement le traité ou le dénoncer ; et ceci d’autant plus que les ministres du culte catholique romain sont dans la double dépendance du pouvoir français et du pouvoir papal étranger. On ne saurait donc prendre trop de précautions à leur égard. Bonaparte avait pris non seulement des précautions que l’on pourrait dire essentielles, mais encore il avait songé à profiter du clergé pour aider sa police ; il avait trouvé quelque chose comme la mise du confessionnal à la disposition du gouvernement. L’évêque, après avoir juré « obéissance et fidélité au gouvernement de la République française », ajoutait : « et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j’apprends qu’il se trame quelque chose au préjudice de l’État, je le ferai savoir au gouvernement. » L’évêque doublant le préfet, quel rêve pour un despote !

Les trois articles qui doivent terminer ce paragraphe ont trait aux droits des évêques : droit de faire une nouvelle disposition des paroisses (art. 9), droit de nommer aux cures (art. 10), droit d’avoir « un chapitre dans leur