Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/105

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La vie politique était donc réservée comme un luxe de plus aux privilégiés de la fortune, lesquels, comme on l’a vu, avaient trop d’intérêt à y pénétrer pour demeurer dédaigneusement sur le seuil. Toutes les Chambres de la Restauration, avec des différences dans le tempérament des hommes et la force numérique des partis, furent vouées à la même œuvre de spoliation économique et en même temps aux pires violences politiques. Au début, la classification des partis n’existait pas : si prolongé avait été le silence politique que les traditions parlementaires de la Révolution étaient oubliées. La première Chambre de la seconde Restauration, formée des plus ardents et des plus implacables parmi les royalistes, se partagea vite cependant en deux groupes principaux : d’une part, ceux qu’on appela les ultras, puis ceux qui furent les partisans des prérogatives royales définies par la Charte.

À côté d’eux, un groupe dont la puissance numérique fut aussi faible que fut forte sa puissance morale, le groupe des doctrinaires, dirigé par Royer-Collard, et une petite fraction qui figurait timidement ce qu’on appela plus tard la gauche dans les assemblées. Le débat politique fut toujours le même, sous des formes différentes, et l’on pourrait écrire l’histoire de la Restauration en deux lignes : un parti croyait à la Charte et la défendait, un autre avait feint d’y croire et demandait au roi d’en finir avec ce mensonge constitutionnel. Or, la Charte avait laissé en suspens deux questions : la loi électorale, la liberté de la presse. C’est autour d’elles que se livrèrent tous les combats. Quant aux hommes, ils furent assez lents à se ranger dans le cadre définitif d’un parti. Ils y furent aidés par une institution qui était née avec la Restauration, et qu’on a appelée la Congrégation, quoiqu’elle ne semble avoir eu, à ses débuts, qu’un lien très lâche avec les hommes des congrégations. La congrégation fut une sorte de cercle laïque et parlementaire où se réunissaient quelques députés ultra-royalistes : la propagande individuelle recruta des adhérents assez nombreux. On y trouvait MM. Sosthènes de la Rochefoucauld, Jules de Polignac, Villèle, Corbière, Chateaubriand. On se retrouvait le soir, autour d’une table mal éclairée, et c’est là que d’abord on engagea les conversations politiques. Peu à peu, ces conversations s’érigèrent en discussions. Sous l’habile direction de Villèle, prompt à exposer, plus prompt encore à taire son avis personnel, on se concertait. C’est de ce petit parlement où par avance les coups étaient essayés que sortit l’organisation et la discipline du parti ultra-royaliste.

Et cependant c’est dans les Chambres de la Restauration, et dans les premières que fut fondé l’instrument de contrôle financier qui est encore aux mains de la représentation nationale. On ne sait si on doit l’en louer car, comme on a pu voir, l’intention qui anima la majorité ne fut pas la libérale intention qu’on lui pourrait trop tôt prêter. Mais un homme, qui est le baron Louis, mérite sur ce point la gratitude parlementaire, car, minis-