Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/109

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un roi. Louis XVIII, ému, non par la crainte de frapper trop fort, mais par la crainte de se voir contrôlé, conduit, sommé par une assemblée, même royaliste, ne put cependant résister ; le ministère, pas davantage. Et, pour répondre au vœu déposé aux pieds du monarque, des lois furent proposées.

Le Gouvernement fit connaître le 16 octobre son projet de poursuivre les cris séditieux : les bruits répandus sur l’inviolabilité des biens nationaux, le port de la cocarde tricolore, l’enlèvement d’une affiche officielle étaient en même temps prévus. Le Gouvernement frappait ces actes d’une peine de cinq années de prison. Il croyait ainsi désarmer les colères de la majorité ! Celle-ci ne lui fit qu’un reproche, c’est d’avoir temporisé et ensuite d’avoir ménagé les coupables. Sous la main de la commission, cette loi draconienne faillit devenir une loi de sang. M. de la Bourdonnaye, royaliste affolé par les souvenirs de l’Empire et de la Révolution, déclara inoffensives les peines prévues et réclama la peine de mort. L’excès même de cette rhétorique meurtrière, en dépit de M. de Broglie qui la fit aussi résonner, demandant la peine de mort pour le port de la cocarde tricolore, cet excès sauva la loi. Mais le ministre dut céder en partie et substituer à la peine de l’emprisonnement celle de la déportation (30 octobre, 293 voix contre 69).

Cependant, pour capter et satisfaire encore les instincts de cette majorité déchaînée, le ministère avait déposé un autre projet : le projet qui suspendait la liberté individuelle et permettait, sur un mandat délivré à la suite d’une délation quelconque, d’emprisonner pendant un an tout sujet du roi. Royer-Collard et Pasquier combattirent ces violences légales par où le droit de chacun était meurtri, le premier au nom des principes, avec une souveraine maîtrise du grave sujet, le second du point de vue de l’efficacité pratique. « Les mandats à décerner le pourront être par des fonctionnaires », disait l’article 2 : un commissaire de police, un garde-champêtre pouvaient donc suspendre pour un an la liberté des citoyens ! Soutenue par le rapporteur Bellart — qui allait requérir contre le maréchal Ney — et par le ministre de la police Decazes, cette loi fut votée par 294 voix contre 56 (23 octobre). Le 27 octobre, la Chambre des pairs adoptait sans débat cette loi. Elle adoptait, le 7 novembre, la loi sur les cris séditieux, non sans une violente opposition de Chateaubriand et de M. Desèze, l’avocat de Louis XVI. Mais aucune intention libérale ne dictait leurs paroles à ces deux orateurs. Il suffit de lire la vive apostrophe de Chateaubriand qui s’étonnait qu’on osât punir ceux qui douteraient de l’inviolabilité des biens nationaux… Sont-ils donc inviolables ? Ne les pourrait-on pas reprendre ? Ces questions allaient émouvoir un peu plus tard la majorité ultra-royaliste.

Le ministère, devant elle, céda encore : le 17 novembre, le duc de Feltre, au nom du gouvernement, dépose le projet de loi qui organisait les Cours prévôtales. L’exposé des motifs déclarait qu’il fallait « intimider les méchants, les isoler de cette foule d’êtres faibles dont ils font leurs instruments ». On