Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/110

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peut concevoir à quels abus monstrueux pouvaient conduire ces vagues et sinistres formules. Chaque cour siégeait au chef-lieu sous la présidence d’un colonel appelé le prévôt, assisté de magistrats civils. Cette juridiction, qui dessaisissait la Cour d’assises et les tribunaux correctionnels, devait appliquer les lois antérieurement votées. Tout homme présumé coupable lui était déféré quelle que fût sa profession, qu’elle fût « militaire, civile ou autre ». Le prévôt, assisté d’un juge, faisait l’instruction, non pas seulement sur une plainte de l’autorité publique, mais sur une délation privée. Mais si un prévenu réclamait contre la compétence de la cour ? Il en avait le droit. Mais alors la Cour royale du ressort était saisie et obligée, si le prévôt la requérait, de se transporter sur place ; elle devait juger de suite. La Cour prévôtale jugeait dans les vingt-quatre heures et l’exécution suivait. Mais le droit de grâce ? Il fut supprimé — ou, du moins, on ne permit au roi de l’exercer qu’au profit des condamnés qui seraient recommandés par la Cour elle-même à sa clémence. Cette loi, qui contenait 55 articles, fut votée en trois jours (du 1er au 4 décembre) par 290 voix contre 131.

Ainsi la Restauration, à peine établie, avait créé ses lois et la juridiction qui allait les faire valoir : on arrêtait sur une plainte privée, on soumettait de suite le prévenu à la cour prévôtale et, s’il avait contrevenu à la loi sur les cris séditieux, il était condamné — et condamné sans appel ! Il semblait que, cette fois, la majorité, altérée de vengeance, ivre de toutes les terreurs et de toutes les rancunes royalistes, allait se déclarer satisfaite. Mais non, elle voulait encore, des fers, des persécutions, du sang. Les royalistes n’avaient pas accueilli avec une joie complète l’ordonnance du 24 juillet, qui livrait aux conseils de guerre dix-huit dignitaires de l’Empire, en livrait trente-huit à l’exil. Le nombre leur paraissait trop restreint des coupables que la main de la loi devait frapper ou devait proscrire. Mais comment agir ? L’ordonnance avait, dans l’article 4, déclaré « close la liste des individus susceptibles d’être poursuivis » pour ces faits. Cependant, l’ingéniosité cruelle de la majorité découvrit dans l’article 2 de la même ordonnance la secrète fissure par où elle pouvait pénétrer. Cet article ne disait-il pas « que les Chambres statueraient sur ceux des individus désignés » ? Or, aucune désignation n’avait encore été faite, et voilà comment l’ordonnance à la main et paraissant respecter la volonté royale, M. de Labourdonnaye et M. de Germiny avaient déposé des projets.

Le croirait-on ? Par une sorte d’ironie, M. de Labourdonnaye appelait son projet un projet d’amnistie. En effet, il amnistiait tous ceux qui avaient pris part aux événements du 20 mars, à l’exception de… Puis venaient les redoutables catégories où la main de la police allait aisément trouver la proie destinée au geôlier et au bourreau. Étaient exceptés de l’amnistie : 1o les titulaires des grandes charges administratives et militaires qui avaient constitué le Gouvernement des Cent-Jours ; 2o les généraux, commandants