gens qui possédaient. Maintenant, les fils mêmes de l’aristocratie allaient croupir dans le rang, ou s’humilier au seuil des écoles, et, plus barbare destinée, le fils d’un gentilhomme serait exposé à subir les ordres venus du fils de son fermier ! Plus de brevets de lieutenants-généraux distribués à l’oisiveté de la jeunesse ! Plus de régiments apportés par la grâce royale ! Plus d’inutile parade ! La droite tout entière se ligua, mais se brisa contre cette loi : soutenue par les royalistes ministériels et par les indépendants, la loi vint en discussion dès la rentrée ; le 14 janvier 1818, vingt-trois orateurs se dressèrent pour elle et vingt-trois contre elle dans le champ clos parlementaire. « Une armée manquait au génie du mal, je vous la demande ! » s’écria un orateur, et M. de Bonald, qui avait le mérite de trouver au sombre fanatisme de son parti des formules concises. « La force militaire d’un État doit avoir moins pour objet la défense extérieure que le maintien de l’ordre intérieur afin que « force demeure à justice », selon la belle expression de notre ancienne langue politique. » Et, pour corriger cette atroce théorie, qui sera, hélas ! si souvent reprise, pour atténuer un peu ce cri de guerre contre « l’ennemi de l’intérieur » qui était l’esprit révolutionnaire, qui sera demain la République, ensuite le socialisme, M de Bonald ajoutait : « Contre un grand péril, une invasion, par exemple, on a la ressource des levées spontanées. »
C’était toute la théorie militaire et sociale, la dernière pensée des ultras : l’armée écrasant ses ennemis politiques, et, quant à l’étranger, la levée en masse lui devait répondre. Aussi ce souvenir des héroïques mêlées de la Révolution servit la théorie subtile et creuse de cette fraction. La levée en masse ! mais qui pouvait dresser aux frontières ce peuple frémissant ? Pourquoi se serait-il battu ? Sous la Révolution, il défendait par les armes les droits dont il avait été l’artisan robuste. Mais maintenant qu’aurait-il défendu ? Les biens des riches, les droits des riches, une patrie ingrate où l’échafaud était à tous les horizons ? Décidément, la pensée de cette opposition, qui n’était qu’une coterie ambitieuse et mécontente, ne creusait pas bien profondément les problèmes.
Après un discours plus habile de M. de Feltre, qui, lui, invoquait seulement la charte violée, oubliant qu’en 1815 il avait répudié comme trop transigeant avec l’esprit du temps le document constitutionnel, le maréchal Gouvion Saint-Cyr défendit la loi dans un discours net et précis. Il inséra dans le discours un éloge de la « grande armée », celle que les royalistes tous les jours couvraient d’opprobre. La loi passa — sauf une modification sur la composition de la cavalerie et de l’artillerie qui restèrent ouvertes au recrutement et sauf la durée de la milice de réserve abaissée à quatre années. L’effectif de 150 000 hommes fut porté par la Commission à 240 000 hommes : le 5 février 1818, la loi fut adoptée par 147 voix contre 92. À la Chambre des Pairs, après de furibondes attaques de Chateaubriand dont la