Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/145

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même à la Convention ». Quoi  ! c’était là le langage d’un émigré, d’un ancien soldat de l’armée de Condé  ? Il faisait l’éloge de la Convention, c’est-à-dire d’une assemblée régicide ! Après la stupéfaction, ce fut la colère : pendant que les indépendants acclament le ministre, dans la consternation du centre, la droite le hue…

Qu’y avait-il donc ? M. de Serre n’avait péché que par entraînement de parole, et jamais il n’avait eu l’intention de louanger un régime qu’il exécrait. Improvisateur généralement maître de lui, il avait, ce jour-là, dépassé sa propre pensée. Il avait, en vain, essayé de se reprendre dans le tumulte. Pendant les jours qui suivirent, accablé d’outrages qui le peinaient, d’éloges qui lui étaient intolérables, il cherchait une issue à une situation fâcheuse. Il la trouva. Comme l’on discutait sur des pétitions réclamant le rappel des proscrits, il s’expliqua, distingua entre les bannis, et jeta cette phrase : « Quant aux régicides, jamais ! ». Le ton, l’accent, le geste, tout marquait que l’auteur avait préparé ce terrible et inexorable anathème pour ressaisir l’erreur verbale de la veille. La droite le couvrit d’applaudissements, et les indépendants d’imprécations. Où peut descendre une haute intelligence que le caractère ne soutient pas ! En quelques jours, M. de Serre avait deux fois compromis le ministère, et il se trouvait que c’était par une intervention de tribune et alors qu’il était un orateur consommé ! Au lieu de se résigner aux outrages, de suivre sa voie, d’attendre une autre heure pour préciser sa pensée, M. de Serre s’était violemment rejeté à droite. On sentit, cette fois, que c’était sa conscience qui parlait. La droite, qui ne devait pas oublier l’éloge de la Convention, ressaisit cet instrument merveilleux de tribune. Les indépendants le répudièrent. Tel fut l’effet de cette apostrophe qu’entre le cabinet et eux fut rompue la loyale et nécessaire alliance qui avait arrêté l’élan des ultras.

Il semble que cette évolution de M. de Serre ait été dans le ministère la cause d’une désunion. Après avoir hardiment arboré le drapeau du libéralisme et fait face sur tous les terrains à l’ennemi, M. Decazes fut pris d’une sorte de timidité. Il avait des velléités et non de la volonté. Une action énergique le prenait tout entier, et l’instant d’après ne trouvait plus en lui le même homme. Ce qui lui a le plus manqué à cette époque, c’est la persistance des vues et la fermeté dans le dessein. Il frappait à la Chambre un coup, ameutait les colères, et puis ne prenait du lendemain nul souci. Ainsi, il laissa s’organiser les missions à l’intérieur, et le mal qu’elles firent, dans les prédications violentes qu’elles jetaient à tout le pays, fut incalculable. À leur tête se trouvait le Père Rouyan, à qui l’idée était venue de convertir à la foi tous les Français. Il parcourut le Centre de la France, l’Ouest, la Bretagne, avec une cohorte fanatique qui soufflait le feu des discordes partout où elle s’arrêtait. Tantôt elle organisait des cérémonies à l’église, tantôt elle hissait sur une hauteur, à dos d’hommes, une croix monumentale qui semblait, de