Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/161

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lège de département. C’était l’équivoque, et il eût peut-être mieux valu la laisser passer pour essayer plus tard d’en tirer profit. M. Courvoisier, dans un amendement, voulut faire préciser que les mêmes personnes ne pourraient pas voter deux fois. Mais M. de Serre, revenu de Nice, et qui soutenait tout le poids de la loi, répliqua : « Ce serait donner trop d’influence à la démocratie. — Alors j’abandonne l’amendement, dit M. Courvoisier. — Je le reprends », s’écrie M. Boiri ; on vote, et la théorie du double vote est inscrite dans la loi ! Ainsi la richesse ne se contentait plus d’un privilège, elle en cumulait deux ! Enfin, le 12 juin, par 154 voix contre 95, la loi fut votée ; les libéraux l’avaient repoussée avec le concours des doctrinaires Royer-Collard et Camille Jordan. Contre ces derniers avait pris violemment parti M. de Serre, leur ami ancien, qui sacrifiait tout, son autorité et son prestige, à ses nouvelles fonctions. La saison s’acheva après qu’eurent été votés des projets de moindre importance ; MM. Royer-Collard et Camille Jordan, conseillers d’État, furent révoqués.

La clôture de la session avait eu lieu le 22 juillet. Mais auparavant la Chambre des Pairs avait jugé le procès de Louvel. Du 13 février 1820, jour du meurtre du duc de Berry, jusqu’au 26 mai 1820, pendant trois mois, le procureur général Bellart, en quête de complices, et ne pouvant croire que Louvel eût résolu son acte dans la solitude, avait lancé sur la France plus de 140 commissions rogatoires. Rien ne vint, et ce magistrat dut se résoudre à ne demander qu’une seule tête. Le procès de Louvel dura deux jours, le 5 et le 6 juin. Il fut sans intérêt. Louvel garda le maintien ferme qu’il avait eu dès la première heure, ne répudia ni le crime, ni la préméditation, jeta aux pieds de la Cour le brutal aveu de son désir qui était d’éteindre d’un coup brusque la dynastie. Il fut condamné à mort, apprit sans pâlir l’arrêt d’ailleurs attendu, demanda à dormir sa dernière nuit de la Conciergerie dans des draps moins rudes que ceux qui lui avaient été donnés, s’endormit calme, se réveilla de même et, le soir du 7 juin, vers les sept heures, au milieu d’une assistance d’autant plus considérable que Paris était soulevé contre les votes de la Chambre des députés, fut livré au bourreau. Son acte devait être stérile, puisque la duchesse de Berry était grosse et devait, le 24 septembre suivant, accoucher. Des bruits de substitution avaient couru, la Cour était accusée, en cas de progéniture féminine, de tenir en réserve un enfant mâle afin que les droits de la couronne demeurassent fixés. Il faut lire les journaux, les mémoires du temps pour se rendre un compte exact des inquiétudes du monde royaliste. Le roi Louis XVIII penchait chaque jour vers la tombe, son frère n’avait que deux ans de moins que lui, le duc de Berry était mort, et le duc d’Angoulême n’offrait aucune confiance. Que deviendrait la couronne si un enfant mâle ne naissait pas ? Enfin il naquit le 24 septembre. Depuis deux jours, la duchesse de Berry, sentant les douleurs libératrices, avait pris toutes les mesures pour que l’accouchement fût