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Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/166

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blait être la cible vivante et d’ailleurs intrépide que visaient ces paroles meurtrières. Aussi M. de La Fayette et le général Foy, qui, comme survivant de Waterloo, avait droit, de la part de l’émigration, à toutes les haines. Entre les libéraux qui se défendaient et portaient par l’éloquence de rudes coups à l’ennemi, et cet ennemi, entre ces deux partis déchaînés, pareil à une triste épave, le cabinet demeurait. M. de Richelieu, qui avait une nature droite et haute, était le plus détestable des orateurs, non seulement incapable de parler, mais même de lire un document. M. de Serre parlait, certes, improvisait, tenait tête aux libéraux que sa seule vue exaspérait, mais il était impossible de jeter autre chose à cette Chambre que des discours mutilés par des interruptions furibondes. Nos assemblées, même aux jours de violence, ne donnent aucune idée de cette assemblée de la Restauration, plus libre, il le faut reconnaître. « C’est faux. » « Ce n’est pas vrai. » « C’est infâme. » « Vous êtes la calomnie en personne ! » « La France n’a rien de commun avec vous  ! » Telles étaient les quotidiennes répliques qui s’entrecroisaient dans l’air surchauffé. L’esprit cependant ne perdait pas ses droits et un jour que M. Casimir Périer, solennel et tragique, s’écriait, parlant à M. de Serre : « Si vous voulez ma tête, prenez-la ! », une voix répartit : « Très bien ! Les petits présents entretiennent l’amitié », force fut à l’intéressé de partager, dans une courte accalmie, l’hilarité générale. Mais l’injure avait plus souvent son emploi : l’injustice des partis ne respectait rien et, obligés de se défendre par les armes, tels le général Foy et le général Demarcay, les libéraux cependant restaient le plus souvent les maîtres de la tribune jusqu’à épuisement des forces. Qu’on ne se hâte pas de condamner ces violences : elles étaient, éclairant les yeux, brûlant les lèvres, après avoir dévoré les cœurs, les traductrices sincères des passions comprimées pendant quinze années ! Et après tout, mieux valait forger l’instrument parlementaire au feu des colères que d’attendre, comme au Parlement impérial, du geste d’un maître le droit de lui donner raison !

À propos du budget, le général Donnadieu, que la tutelle de M. de Villèle rendait impatient, critiqua durement le cabinet, et, par ricochet, ceux de ses amis qui le soutenaient. À mesure qu’intervenait l’orateur ultra-royaliste, la situation devenait plus épineuse pour M. de Villèle au sein de son propre parti et on verra que peu à peu ce sont ces leçons données d’une voix sévère qui ont amené dans la politique une déviation, (mars 1821).

Mais un des plus furieux débats auxquels aient assisté encore les membres de la Chambre lui fut offert le 23 mai par une proposition d’essence gouvernementale. On se rappelle que le traité du 30 mai 1814, qui avait suivi la première capitulation de Paris, abandonnait aux puissances les dotations faites à des Français par le Gouvernement impérial et qui étaient gagées par des biens situés dans la zone annexée à la France et que la France venait de perdre. Ces dotations étaient représentées par le domaine