Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/168

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extraordinaire impérial : or, celui-ci avait été appréhendé par la Restauration en 1815. Elle devenait donc débitrice des sommes dues et force était à la Chambre de voter une indemnité qui était un droit.

Dès que la droite entendit la lecture de cette proposition, elle se dressa tout entière et dès que la proposition lui fut livrée, ce fut de sa part un éclat sans précédent. « Comment ? On osait offrir une indemnité aux officiers de Bonaparte ! Et que donnerait-on aux émigrés qui, pour suivre leur roi, avaient tout sacrifié ? ». Le général Donnadieu, M. de La Bourdonnais, M. Clausel de Coussergue dénoncèrent ce projet comme une trahison de la volonté du roi, un outrage aux services éclatants et aux nobles souffrances de l’exil. Mais aucun n’atteignit le degré de violence auquel s’éleva avec une naturelle aisance M. Duplessis de Girardin, le député de la chouannerie bretonne, qui, en 1815, avait réclamé des gibets et des supplices. Prenant d’une main fiévreuse la liste des indemnitaires, il choisit avec une infernale habileté quelques noms : Lavalette, condamné à mort, Moulon-Duvernet exécuté avaient droit, ce dernier dans la personne de sa veuve, à une indemnité ! Et Drouet-d’Erlon et Lefebvre Desnouettes et les frères Lallemand et Dobelle ! Tous poursuivis, condamnés et indemnisés ! Mais l’orateur, à qui la haine vraiment donnait un tragique accent d’éloquence, avait gardé pour la fin le nom de Hullin, du juge militaire qui, après une nocturne décision de justice, avait, dans les fossés de Vincennes, prêté les mains au meurtre du duc d’Enghien ! Ce que fut l’effet de cette nomenclature sur une assemblée royaliste, on le comprend. « Je n’attends plus que les noms des parricides », dit l’orateur en descendant de la tribune. Il n’y avait plus de projet.

Manuel répondit le lendemain. Son discours grave et mélancolique ne semble pas avoir visé la vraie question. Une foudroyante réplique l’a, seule, relevé. Comme il allait finir, la droite lui crie : « Très bien, avocat, ce discours vous sera bien payé. » L’orateur demeura calme sous l’outrage et, écrasant de son mépris le groupe des insulteurs publics : « Oui, ce discours me sera payé, mais d’une monnaie qui vous est inconnue, messieurs. Quand on parle justice et raison, quand on défend les intérêts de son pays, il est impossible qu’on ne trouve pas tôt ou tard sa récompense dans l’estime publique. C’est tout ce que j’ambitionne. »

C’était au général Foy qu’il était réservé de prendre la défense de ses compagnons d’armes. Il le fit dans la séance du 25 mai avec une force où l’émotion des souvenirs avait sa part. Il commença par détruire la légende de générosité et de désintéressement dont se couvrait le royalisme, qui affectait de reprocher aux soldats de l’Empire leurs profits, de leur faire grief de tendre la main à l’État, en affirmant à tous que les soldats de la royauté, au temps lointain où ils se battaient, répudiaient tout avantage. D’où sortait donc la magnificence de la maison de Condé et sur quelle pauvreté