Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/180

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défendu par le général Foy, et même par M. Lainé, ne fut maintenu sur la demande de Cuvier, qu’à la condition d’être distribué aux écoles les plus favorables à la religion. On savait ce que signifiait cette formule vague. Plus tard, Villèle et Corbière, devenus tout à fait les maîtres, donnèrent un plus vaste essor à la Congrégation. Mais, avant d’aller plus loin, qu’on retienne ces chiffres : sur 37 000 communes, il y en avait 27 000 dépourvues d’écoles et d’instituteurs. On pense si c’est avec ce crédit de 50 000 francs, disputé et devenu de plus en plus précaire, que l’on pourra lutter contre les Frères ; avant peu, par eux, la Congrégation sera maîtresse du cerveau frêle de l’enfance, et M. Piet, un ultra-royaliste, n’aura pas à regretter, comme il le fit en 1821, « que les Frères fussent obligés de demander un diplôme à l’Université contrairement à leurs statuts. »

Pour l’enseignement secondaire, M. Corbière agit de même. Le 27 février 1821, le roi, sur sa demande, signait l’ordonnance suivante, dont il suffit de rapporter les premières lignes :

« Les bases de l’éducation des collèges sont la religion, la monarchie, la légitimité et la charte. »

« L’évêque diocésain exerce pour ce qui concerne la religion le droit de surveillance sur tous les collèges de son diocèse. Il les visitera lui-même ou les fera visiter par l’un de ses vicaires-généraux, et provoquera les mesures… »

Ainsi l’évêque devenait le maître absolu de l’enseignement secondaire. Chargé d’une inspection permanente, il pouvait, sous le prétexte de la religion, gouverner l’esprit des élèves. À quoi ne tient pas la religion et quelle difficulté y a-t-il de la relier aux lettres et à l’histoire et même à la science ?

La Congrégation ne se contentait pas de pousser ainsi silencieusement ses racines au cœur même de la France, de se faire verser tout le profit moral et matériel des lois, elle agissait avec plus d’audace encore. L’expérience qu’avait fournie M. Decazes n’était pas perdue pour elle, et le secret de l’influence détestée de l’ancien premier ministre avait été recueilli avec ferveur. M. Decazes avait régné tout puissant sur l’esprit du vieux roi : il avait été le compagnon patient pendant de longues heures, et le roi accoutumé à sa présence avait bien souvent pleuré son départ, moins par tendresse véritable que par égoïsme. Ce roi avait l’habitude des favoris, et il avait passé de M. d’Aravay à M. de Blacas, de M. de Blacas à M. Decazes. La Congrégation comprit que son pouvoir serait fragile tant qu’elle n’aurait pas introduit auprès du roi le personnage au charme redoutable par qui, loin du tumulte des partis, elle régnerait toute puissante. Elle chercha et ne fut pas longue à trouver son instrument.

Il y avait à Paris, reçue à la cour quoique de noblesse médiocre, une comtesse du Cayla, née Zoé Talon. Son père, avocat-général au Parlement, avait tenu en mains les pièces du dossier de Favras et sa discrétion avait plu au