Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/181

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comte de Provence. Ce souvenir, les services rendus sous l’Empire à la cause royaliste, et surtout une beauté ferme et gracieuse, firent penser à M. Sosthène de La Rochefoucauld, un des deux coryphées de la Congrégation, qu’il y avait là peut-être un moyen d’action. Mme du Cayla, instruite de ce que la Congrégation attentait d’elle, s’introduisit comme une solliciteuse, même du temps de M. Decazes, auprès du roi. M. Decazes eut vite fait de juger le péril et d’écarter l’intruse ; mais quand il partit, c’est elle qui surgit auprès du fauteuil où Louis XVIII affaissé sur lui-même attendait la mort. Il lui fallut être patiente, et se résigner à de longs silences, à de longs ennuis, entendre enfin souvent le roi se lamenter sur le départ de « son enfant, M. Decazes ». Elle brava tout, fit oublier tous les favoris anciens, et dès 1821, elle régnait en maîtresse sur le cœur et l’esprit du roi. De longs entretiens solitaires les réunissaient dans le cabinet royal, où les charmes florissants de la jeune femme affrontaient d’ailleurs sans risques la sénilité tremblotante du roi. Par cette femme de trente-six ans qu’elle avait placée auprès du monarque, c’était la Congrégation qui parlait, priait, requérait, imposait, et on peut dire qu’ayant ainsi fait garder toutes les issues qui menaient à la volonté suprême et vacillante à la fois, la Congrégation était la véritable souveraine et la dominatrice de la politique.

Cette organisation secrète et puissante en avait naturellement suscité d’autres qui, pour répondre à tant de défis éclatants et à tant de persécutions sournoises, se formèrent peu à peu dans le camp des libéraux. Au début de son règne, Louis XVIII pouvait faire illusion, mais dès la chute de M. Decazes, parmi ceux qui même étaient mêlés à la politique, aucun ne pouvait conserver le moindre doute sur le but poursuivi. C’était bien une restauration, le retour pur et simple au régime ancien, comme un pont construit pour rejoindre une rive désertée, par-dessus le torrent endigué de la Révolution. À cette audace croissante, et qui trouvait pour s’exprimer mille voix injurieuses à la Chambre et dans la presse, comment répondre ? La loi électorale due à M. de Serre, restituant aux grands propriétaires tout le pouvoir, ajournait même l’espérance, même le rêve lointain d’une résurrection libérale. La presse censurée et mutilée dans chacune de ses expressions était en des mains fiévreuses comme un instrument inerte. Que faire ? Que devenir ? Il ne restait plus à l’énergie de quelques hommes indomptables, qui ne pouvaient tolérer ce joug de fer, qu’à se répandre dans des sociétés secrètes, à y former les complots libérateurs de ce régime et, comme précisément la Congrégation avait depuis de longues années donné l’exemple, l’exemple fut suivi.

Au mois de février 1821, dans la chambre modeste d’un étudiant, Coupeau, fut fondée la société des carbonari. Les statuts, adaptés aux coutumes françaises, avaient été rapportés d’Italie par deux jeunes hommes MM. Joubert et Dupied, qui s’étaient rendus dans la péninsule pour offrir leur cou-