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Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/188

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c’était donner à croire à tous qu’il s’agissait d’un complot de police, alors que Grandménil était, comme Nantil, un homme d’un admirable dévouement. Le jury n’en condamna pas moins à mort Grandménil, Delon, d’autres par contumace, et Berton, Caffé, Henri Fradin, Sénéchaut, Saugé ; les autres, au nombre de trente, sont condamnés à des peines variables. C’était le 11 septembre.

L’exécution de l’arrêt fut ajourné par des pourvois en révision et des demandes de grâces ; furent graciés Fradin et Sénéchaut. Le 5 octobre, à midi, sur une place de Poitiers, devait avoir lieu la double exécution de Berton et de Caffé. À onze heures, ce dernier, dissimulé sous sa couverture, s’ouvrait l’artère crurale ; on se précipita pour arrêter l’hémorragie afin que, par la décapitation, l’exemple fût fourni ; mais la mort, plus clémente que la justice, délivra le malheureux de l’ignominieux contact du bourreau ; sous peine de mutiler un cadavre, on ne pouvait plus porter le condamné à l’échafaud. Berton attendit la mort, se fit raser, rudoya le prêtre qui offrait l’hypocrisie de ses prières, et, à midi, parut sur la place. Il cria : « Vive la France ! Vive, la liberté ! » et donna une vie que toute la mitraille de Waterloo avait épargnée, Le surlendemain, 7 octobre, Juglin et Sauge étaient exécutés à Thouars ; Sauge jeta le cri de : « Vive la République ! ». Deux condamnés seulement, l’un au Mans, l’autre à Thouars, l’avaient fait entendre.

Ce ne furent pas les dernières condamnations à mort, mais ce furent les dernières exécutions. Aussi bien le glaive de la Restauration pouvait s’émousser, car les conspirations étaient mortes, tuées par les conspirateurs. L’arrêt qui tranchait la tête des sergents de la Rochelle condamnait du même coup le carbonarisme. Impuissant devant l’échafaud, il ajoutait à l’insuccès de sa tentative, l’inertie au jour du péril. Toutes les vaillances tenues en réserve s’écartèrent de lui et, par d’autres voies, cherchèrent l’action salutaire.

Les échecs successifs subis par ces conspirations militaires étaient dus à plus d’une cause ; d’abord à l’imprécision des ordres donnés, et surtout à ce fait que c’étaient d’obscures victimes qui tombaient, éclairées d’un faible rayon de gloire seulement au jour de l’expiation. L’attitude de la Restauration vis-à-vis des chefs a été diversement jugée, et l’on a discuté pour savoir si, en étendant la main, elle n’aurait pas pu saisir les plus hautes personnalités. Cela n’est pas douteux ; la Restauration ne fut ni magnanime ni aveugle, elle fut habile, et voilà tout. À qui fera-t-on croire que, s’il l’eût voulu, M. de Villèle n’eût pas pu faire arrêter La Fayette et Voyer d’Argenson  ? Il avait promis avec éclat de poursuivre tous les coupables, si des preuves juridiques lui étaient fournies, mais toute cette indignation masquait sa volontaire inertie. La police savait bien que M. de La Fayette était parti pour Belfort et n’avait bifurqué en route que sur un contre-ordre. Elle aurait pu, sur la déposition de Baudrillet, qui dénonçait formellement La Fayette et donnait son adresse, ouvrir une enquête. Elle ne le fit pas ; M. de Marchangy, d’ordi-