Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/198

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timité royale et de la suprématie spirituelle, principes brisés par cette Révolution haïe dont le spectre se dressait menaçant dans la Péninsule. La Congrégation ne pouvait admettre que le ministre politique, le misérable instrument de sa volonté, se rebellât contre elle, et elle le briserait s’il ne voulait se montrer plus docile. On organisa un nouveau ministère dont M. de Vitroles était le chef avec M. de La Bourdonnaie et on demanda à M. de Villèle de choisir entre la guerre et son portefeuille : l’homme choisit le pouvoir et, le lendemain même, présentait à la Chambre un crédit de 100 millions pour envoyer 100&nbsc ; 000 hommes en Espagne. M. de Martignac fut chargé du rapport.

Il s’acquitta avec élégance de cette tâche où la conscience seule devait apparaître, rappella pour la flétrir la première expédition de Napoléon qui, lui, ne cherchait que la gloire, tandis que le roi Louis XVIII cherchait la gloire et la justice. La justice commandait, paraît-il, que l’on meurtrît sur leur sol les Espagnols réfractaires à l’absolutisme royal, et ainsi l’émigration qui avait jeté sur la France le torrent d’hommes de l’Europe armée allait reprendre sur l’Espagne sa revanche.

C’est ce caractère que prit et que garda, par le débat passionné qui suivit à la Chambre, l’intervention de la France. La discussion fut une des plus hautes et des plus âpres qui aient honoré la tribune et elle eût suffi à illustrer les orateurs du parti libéral. Le général Foy y apporta la chaleur de son âme ardente et la compétence du vieux soldat qui avait en 1808 pris part à la guerre impériale. M. Royer-Collard y fit apparaître la noblesse constante d’une éloquence qui s’alimentait aux sources les plus pures du désintéressement dynastique. Tout ce que la parole humaine put dire pour écarter de la France cette œuvre impie et de sa gloire ce forfait, toutes les inspirations de la justice, de l’équité, de la liberté, se multiplièrent sur les lèvres des orateurs et dans des interruptions passionnées. Le parti ultra-royaliste célébrait la guerre avec une véritable furie, opposait au droit prétendu du peuple le droit du roi, flétrissait à l’égal d’un crime l’âpre désir de l’indépendance espagnole et rappelait par la voix de Chateaubriand que déjà Charles 1er et Louis XVI avaient été immolés. Allait-on supporter ces précédents et admettre qu’il serait dans le droit des peuples de tuer les rois ?

C’était là l’unique raison : prendre la revanche dans le sang espagnol de la formidable défaite de 1793. Toute l’étroitesse de l’esprit de ce temps apparaît dans ses fureurs fanatiques et il est déplorable qu’un homme comme Chateaubriand y ait sacrifié. La mort de Louis XVI n’était pas toute la Révolution : elle en était un incident. La Révolution était, dans l’égalité au moins théorique, dans la suppression des droits féodaux, dans la destruction de la propriété ecclésiastique, surtout dans la substitution même d’une charte d’asservissement, c’est-à-dire d’un contrat, à l’absolutisme irresponsable d’autrefois. Personne n’était capable de défendre la