Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/204

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il avait lentement reculé devant l’armée française et à chaque pas livré pour toujours à l’envahisseur une parcelle de ce pauvre pays trahi. Riego fait appel à lui, à son courage ; mais Ballesteros résiste. Riégo est obligé de se retirer. Trois colonnes françaises le poursuivent. Il lutte, blessé se cache dans une ferme, où la dénonciation le fait découvrir. Alors, ce prisonnier de guerre que l’armée française eût dû garder et protéger contre les fureurs, les généraux français le livrent aux autorités espagnoles, c’est-à-dire au bourreau. Seul, avec le général Mina et le général Quevada, qui, au dernier moment, s’enfuit, Riego sut défendre la Constitution et son pays. Tous les autres trahirent leurs promesses et vendirent leur épée à d’autres généraux qui la leur achetèrent.

Ce fut là toute la gloire de cette expédition, dont la fin couronna dignement les débuts. L’imprenable Cadix fut achetée, les Cortès se rendirent et le roi Ferdinand, par des émissaires d’Ouvrard, reçut quatre millions pour distribuer, en monnaie de corruption, parmi ses gardiens. Sous la révolte de quelques jeunes hommes, Ferdinand promit par écrit, sans donner à sa signature d’autre caution que sa conscience, de n’user d’aucune représaille. Après quoi, la ville ouvrit ses portes : les deux Bourbons, celui de France et celui d’Espagne se rencontrèrent, l’un et l’autre ayant dignement trafiqué de l’honneur espagnol et de la liberté de ce malheureux pays.

La guerre était close : c’était un financier failli qui en avait été le plus intelligent, sinon le plus glorieux stratège. Alors commencèrent les saturnales de la vengeance : pillages de boutiques, provocations, violences, délations, assassinats ; on fit au digne roi une fête sanglante. Un spectacle particulier en rehaussa l’éclat : le procès et l’exécution de l’intrépide Riego, pendu au milieu des acclamations. Cela, c’était la revanche visible de la contre-révolution victorieuse. Vint tout de suite la revanche invisible et pesante, dure et cruelle : les moines restaurés dans leurs privilèges, la religion toute puissante, la Congrégation exaltée. C’était la religion qui avait mené à la trahison la malheureuse Espagne. Le formidable pouvoir international, agissant aussi bien à Paris dans le cabinet de M. de Villèle, qu’à Cadix dans celui de Ferdinand, s’était montré partout, au camp des généraux félons, aux assemblées des représentants infidèles, au prétoire où Riego était égorgé, sur les places publiques où la foule ignorante et basse acclamait l’insolent triomphe de la force. En même temps qu’elle, c’était le capitalisme naissant, mais déjà corrupteur, avilissant et avili, qui, sous les traits du failli Ouvrard, avait agi.

La Congrégation avait inspiré l’abominable campagne, l’argent en avait été l’instrument, et l’acier des épées n’avait même pas eu le féroce mais probe honneur du triomphe. Dès l’aube du siècle se montraient donc associées pour la même tâche d’asservissement et de rétrogradation les deux