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Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/210

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propriété immobilière, au moins pour un trentième de sa valeur. C’était là l’intolérable fardeau dont aucun de ceux qui possédaient ne voulait, même pour l’amour des émigrés, accepter le poids. Voilà pourquoi, devant la Chambre, où de grands seigneurs terriens ou leurs mandataires politiques formaient la majorité, l’opération financière de M. de Villèle, qui écartait le spectre de l’impôt, avait recruté tant de partisans.

Il n’en allait pas de même à la Cour des pairs. Elle était composée d’illustrations vieillies, d’anciens soldats, de nobles anciens, de financiers, de cette aristocratie nouvelle dont la force ne reposait pas sur la terre, mais sur l’argent. De plus, sans circonscription électorale, inamovibles et souverains, vivant à Paris et n’attendant rien de la province, ces pairs, s’ils n’étaient pas presque tous des porteurs de rentes, se mouvaient dans une société qui, rattachée à Paris par son goût ou par la nécessité, était la dépositaire des premiers et rares éléments de la fortune mobilière. Dès les premiers jours donc, le conflit se posa entre ces intérêts différents, ces fortunes différentes, et le choc qui eut lieu mit aux prises la propriété terrienne et la fortune mobilière, la Bourse et le champ, le hobereau et le financier ; tous deux, certes, ennemis héréditaires de la démocratie, mais le premier, brutal, pesant, féodal, féroce ; l’autre, astucieux, ingénieux, habile, susceptible d’ouvrir inconsciemment la porte au progrès.

L’origine de ces deux forces rivales et qui allaient se mesurer dans le champ clos du Luxembourg était dissemblable : dissemblable était aussi l’influence qu’elles exerçaient. « Qui a la terre a les hommes », disait-on sous la Révolution, quand on abattait les droits féodaux, indiquant ainsi que la pression de la terre sur l’homme est formidable, écrasant à la fois son corps et sa conscience. Mais, pour redoutable qu’était et qu’est demeurée cette pression, elle est restreinte : l’influence de la propriété terrienne ne dépasse pas la région où elle est éclose. Au contraire, la fortune mobilière pèse moins sur l’homme, mais pèse sur plus d’hommes, étend son influence au loin, partout où, rapides comme le vent, volent les symboles ailés de sa puissance, et pour faire la conquête de l’homme et déterminer sa chute, elle a plus de moyens de séduction et de contrainte…

Aussi redoutables, ces deux forces rivales se rencontraient : l’échec de la propriété terrienne allait être certain. M. Roy, ancien ministre des Finances, attaqua la loi et la fit passer à l’épreuve cruelle d’une dialectique aiguisée. M. de Villèle se défendit et les forces demeuraient égales. Alors, intervint la forme onctueuse et meurtrière à la fois de l’archevêque de Paris, M. de Quelen. L’Église, certes, était intéressée au débat. Dépossédée par la Révolution de ses domaines qui étaient par parcelles aux mains des détenteurs nationaux, elle avait enrichi son patrimoine de rentes. Elle était toute acquise à la fortune mobilière que menaçait, par l’abaissement du cinq pour cent à quatre pour cent, l’opération de M. de Villèle. L’Église, de