Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/211

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toute sa puissance, donna dans la discussion. Elle fut doucereuse et discrète et n’invoqua pas, par la bouche de l’orateur sacré, ses intérêts propres. Elle invoqua l’intérêt des petits porteurs, et montra que les aumônes allaient être, comme la rente, dépouillées d’un cinquième. Ce fut le dernier coup, et, en dépit de M. de Villèle, la propriété foncière fut battue. Ainsi, dans un débat où il s’agissait d’indemniser les émigrés et de défendre une cause chère au roi, à la Chambre, à la Cour des Pairs, à l’opinion royaliste, les émigrés étaient abandonnés. Plus forte que la conviction politique, la convoitise économique l’emportait. Dans ce duel, c’était la finance, la banque, le crédit, qui avaient lutté et vaincu, aidés d’ailleurs de l’Église dont le tabernacle prenait, au contact du coffre-fort, une sonorité impie et lucrative.

M. de Villèle était vaincu. Il ne partit pas, mais il se vengea, Depuis quelques semaines, une haine sourde, et qui allait éclabousser de ses éclats la politique, existait entre lui et Chateaubriand. Les scrupules avaient été légers à ce dernier, qui, partisan de l’intervention en Espagne, inspirateur tenace de ce crime retentissant, n’en avait pas moins supplanté le ministre des Affaires étrangères, Mathieu de Montmorency. Cette hâte à s’installer au pouvoir lui avait d’ailleurs été funeste en ce qu’il s’était aliéné la Congrégation dont le ministre exclu était l’instrument docile. Depuis, il avait triomphé, paré de toutes les amitiés illustres, de toutes les sympathies royales dont son zèle de courtisan avait, avec patience, recueilli le profit. Il était, pour le public superficiel, l’homme d’État universellement connu et dont le ministère ne pouvait, sans s’abandonner lui-même un seul jour, abandonner l’appui. Mais l’éclat, légitime celui-là, de sa réputation littéraire lui faisait illusion à lui-même sur la portée de sa réputation politique. Or, celle-ci, — nous ne parlons pas des renommées brouillonnes, éphémères, bruyantes, qui tombent avec le souffle irrité qui les apporta — ne se peut conquérir et soutenir que par un labeur obscur, une compétence arrachée chaque jour par une main avide au secret des choses, une persistance dans les idées et une ténacité dans la marche que même les obstacles n’arrêtent pas : car la ténacité et la persistance ne sont pas la rigidité, et l’habileté, sans choir à l’intrigue, peut tourner les difficultés. De ce faisceau de qualités premières et secondaires, Chateaubriand n’avait aucune : le Conseil des ministres fut le théâtre habituel et discret de son incompétence vaine et de sa paresse d’esprit. Détaché de la politique par ses côtés arides et rebutants, il n’était que le héraut sonore dont la clameur était devenue inutile et qui se rencontre chaque jour avec l’opiniâtre lutteur dont les veilles préparent les jours. Là était M. de Villèle, dont le caractère fut médiocre, mais l’esprit vigoureux, clairvoyant, volontaire. L’antipathie entre ces deux hommes, et qui était due à tout ce qu’il y avait d’irréconciliable dans leurs conceptions, leurs manières, leurs attitudes, s’accrut quand M. de Villèle apprit que Chateaubriand faisait opposition, à la Cour des pairs, à son projet. Sitôt celui-ci abattu, Chateaubriand fut congé-