Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/220

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releva, dans une brûlante apostrophe, cet outrage. Et ce cri révolutionnaire échappa de ses lèvres déjà contractées par la douleur : « Les possesseurs des biens nationaux sont presque tous les fils de ceux qui les ont achetés ! Qu’ils se souviennent que leurs pères furent traités de voleurs et de scélérats !… Et si on essayait de leur arracher par la violence les biens qu’ils possèdent réellement, qu’ils se souviennent qu’ils ont pour eux le roi et la Charte et qu’ils sont vingt contre un. »

Une foule de voix : « C’est un langage de factieux ! C’est un appel à la révolte ! »

En effet, et il était difficile qu’il fût plus brutal. Ni ce cri, ni les discours ne purent empêcher ce vote (259 voix contre 124). Ce fut là, si l’on excepte un discours spécial du général Foy sur l’organisation militaire, son dernier grand discours, et d’ailleurs la Chambre, après le vote du budget de 1826, entrait en vacances (Juin 1825).

Ces vacances furent un peu remplies par la cérémonie du sacre de Charles X. Le vieux monarque avait hâte de recevoir l’onction sainte sur ce front où la fortune infidèle avait jeté tour à tour tant d’obscurités et de rayons. Ce fut une fête officielle par excellence où le clergé eut naturellement la première place, protégé hautain, protecteur invisible, maître des couronnes chancelantes et des volontés débiles. Le bruit était à peine terminé de cette cérémonie où les robes d’évêques se mêlaient aux uniformes martiaux que tombait sur le champ de bataille politique un homme que le champ de bataille militaire avait épargné. Le général Foy succomba à une maladie cruelle, l’hypertrophie du cœur.

Le deuil fut général et la manifestation qui enveloppa ce cercueil, à la fois éclatante et émue. La mort stupéfie davantage ceux qui survivent quand elle scelle à jamais la parole sur les lèvres d’un orateur. Celui-là avait été grand par lui-même et la noblesse naturelle de sa pensée avait fait surgir en lui l’éloquence qui leur servit tour à tour d’arme et de parure. Soldat depuis la vingtième année, mêlé aux boucheries dont le premier Empire fit sa gloire, il n’avait pu recevoir une éducation oratoire. Mais sa culture, accrue par d’incessantes recherches et formée, dès le tout jeune âge, par un goût prononcé pour les sévères études, avait incessamment déposé en cette âme de soldat le levain immortel de la parole. Dès qu’il eut abandonné l’épée impuissante qui avait guidé une division à Waterloo, il s’était jeté au combat politique. Il y vieillit vite comme on vieillit vite à l’autre combat. Il fut l’interprète des idées libérales et renoua les traditions de ce temps avec le temps de la Constituante. Le peuple, la bourgeoisie libérale vinrent au bord de sa tombe. Et comme il laissait dans la misère sa femme et ses enfants, une souscription nationale leur offrit un million dans un élan spontané, mêlant aux dons de M. Laffitte (50 000 francs), Casimir Périer (10 000 francs), les plus humbles oboles.