Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/221

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Pendant ce temps agonisait à l’extrémité de l’Europe, sur la mer d’Azof, l’empereur Alexandre, qui devait mourir le 30 décembre 1825. Il mourut déséquilibré, en proie à un mal mystique, fuyant les lieux qui lui étaient coutumiers parce qu’ils lui apparaissaient peuplés de fantômes. Il laissa, quelque temps avant sa mort, la cour, Saint-Pétersbourg, son palais, ses amis, et descendit vers le midi de son Empire, sentant qu’il suivait la voie funèbre qui le menait au tombeau entrevu. Il mourut du typhus, mais son corps délabré et son esprit surexcité avaient, pliant sous les excès, depuis longtemps perdu la force qui lui aurait permis de résister au fléau. On s’arrête devant cette nature un peu fuyante qui déconcerte l’analyse. Il fut certes secourable à la France égorgée et rançonnée, au lendemain de Waterloo, et ne permit pas que la pesanteur prussienne écrasât tout à fait notre essor. Est-ce par générosité, par amitié pour M. de Richelieu, par intérêt et pour ne pas laisser grossir de spoliations nouvelles le lot de ses associés ? En tous cas, il le fit. Mais la France ne prêta qu’une attention évasive à ce théâtral décès. Cet homme était mort des excès de l’autocratie, grisé des parfums enivrants du despotisme, ivre à la fois d’action et de pouvoir, impuissant parce qu’il pouvait tout, ne voulant plus parce qu’il pouvait tout vouloir, attristé de la vanité même de sa force… On ne le put faire remarquer en France où une pareille constatation eût été un outrage pour le monarque constitutionnel malgré lui et qui s’efforçait de monter vers le pouvoir absolu — à soixante-neuf ans  ! En effet, l’année 1826 s’ouvrait.

Elle s’ouvrit par un acte qui, quoique louable, ne peut emporter dans la balance le poids des autres actes ni racheter les mesures meurtrières par où la Restauration tenta de procéder à un rétablissement chimérique. Le gouvernement régla, au mieux des intérêts nationaux et particuliers, les difficultés soulevées à Saint-Domingue depuis 1814 par le retour des anciens colons chassés par les noirs qu’avaient d’ailleurs surexcités et provoqués, en 1802, le général Leclerc, émissaire de Bonaparte. On reconnut l’indépendance du gouvernement et on fit payer des droits à concurrence de 150 millions pour indemniser les colons… Mais cette mesure était à peine prise qu’un projet audacieux émanant du pouvoir marquait jusqu’à quel degré, dans le passé, entendait retourner le nouveau régime : nous voulons parler du droit d’aînesse.

C’était un projet cher à l’ultra-royalisme, à ces survivants vieillis et aigris d’un passé mort, que ce projet qui devait restituer au XIXe siècle étonné la législation de l’ancien régime. Et, dans le désir de revenir à cette législation ancienne, il n’y avait pas seulement le désir de rétablir une mesure rétrograde, mais celui d’humilier la Révolution, de brouiller sur des sillons glorieux sa trace géante, de détruire l’égalité souveraine qui, de ces mêmes sillons, s’était levée. Mais, malgré tout, le projet fut arrêté à la