Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/226

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Casimir-Périer protestèrent. Aucun ne le fit avec plus de puissance que Royer-Collard. Le discours par lui prononcé demeure un des monuments les plus hauts de l’éloquence parlementaire. L’apostrophe, l’ironie, la virulence et la mélancolie mêlées en font un des chefs-d’œuvre les plus parfaits de la tribune. C’est à ce moment que, dénonçant les tyrans implacables, minuscules et médiocres potentats qui n’avaient, comme la Révolution ou Bonaparte, ni l’excuse de la gloire, ni celle du génie, il montra la faction invisible, mais aussi saisissable que si elle marchait enseignes déployées : « Je ne lui demande pas qui elle est, où elle va, d’où elle vient : elle mentirait ! » Jamais la compagnie de Jésus n’avait senti plus brûlant sur son âme le feu rouge de la flétrissure. Rien n’y fit, la loi fut quand même votée : si Gutenberg avait vécu, ces mains frénétiques l’eussent certainement conduit à la mort. Un orateur catholique n’allait-il pas jusqu’à dire « que l’imprimerie était une des plaies dont Moïse n’avait pas frappé l’Égypte ? » (Discours de M. de Salabery.)

Le public accueillit avec effroi d’abord cette manifestation nouvelle de la pensée jésuitique, se demandant jusqu’où irait l’envahissement mortel qui recouvrait déjà une partie du pays. Le seul espoir demeurait fixé sur la Chambre des pairs. Celle-ci était depuis longtemps irritée de la brutalité avec laquelle de Villèle menait le gouvernement. Plus irritée encore elle était à la pensée que ce ministre, dont les vues personnelles n’auraient pas été hostiles à une direction plus libérale, inclinait sur la violence par peur des énergumènes surexcités qui s’agitait autour de lui et pour garder, grâce à eux, un pouvoir trop convoité. De plus, l’œuvre passionnée de Chateaubriand commençait à faire sentir ses effets. La rupture plus personnelle que politique qui avait à jamais rendus implacables l’un à l’autre ces deux hommes avait, au début, diminué la portée des attaques violentes dont, sous la main de Chateaubriand, le Journal des Débats était rempli, mais le temps avait effacé ce souvenir et maintenant l’origine des coups retentissants était allé dans l’oubli. Restaient les coups, tenaces et rudes. Et la Chambre des pairs s’apprêtait à faire à ce projet de loi, à la loi vandale, comme avait dit Chateaubriand, un accueil détestable, d’autant que, recherchant les occasions de montrer sa brutalité, le gouvernement, à l’enterrement de M. de la Rochefoucauld-Liancourt, avait arraché le cercueil à des porteurs volontaires, engagé une lutte sacrilège au terme de laquelle le cercueil brisé avait roulé dans la boue.

Aussi M. de Villèle redouta-t-il le contact de cette assemblée, et, par un artifice misérable qui trompa un moment la naïveté publique, il fit retirer le projet de loi. La joie éclata partout, sur les visages, dans les rues, par les illuminations dont chaque scintillement dévoilait le fond de l’opinion. Des ministres avertis et sages, pour qui le gouvernement n’eût pas été une entreprise de combat contre la Nation, eussent puisé dans ce fait un