Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/232

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Grèce à son joug et à ne plus lui laisser qu’un lien financier, par un impôt annuel, avec la Turquie.

Le sultan refusa. On le menaça. Il refusa encore. Il fallait agir, Les trois flottes anglaise, française, russe se présentèrent devant Navarin, où elles mouillèrent en octobre. Pour mieux surveiller les vaisseaux turcs, ces escadres pénétrèrent dans le port. Soudain un coup de feu abattit, sans provocation, un aspirant de vaisseau venu sur un navire turc. Ce fut le signal d’une épouvantable tuerie : pendant cinq heures, les canons tonnèrent. Après quoi, la fumée ayant disparu, on chercha les navires turcs. Ils étaient détruits et, avec eux, avaient péri six mille hommes, La Turquie n’avait plus de marine. La Grèce était délivrée de son redoutable ennemi.

Pas tout à fait cependant. Si les ports où la flotte turque gouvernait avec insolence étaient libérés de sa présence grâce au désastre qui l’avait engloutie, restait à ses troupes de terre l’intérieur du pays. Et Ibrahim vengeait par le fer et par le feu, sur les hommes et sur les femmes, l’écrasante défaite par où avait succombé la marine du sultan. Allait-on le laisser faire, et l’immolation de la Grèce serait-elle la rançon ironique et sanglante de la victoire non cherchée à Navarin ? L’embarras était extrême, et jamais vainqueurs ne furent plus attristés de leur victoire que les Anglais, dont l’amiral avait, par le privilège de l’ancienneté, commandé en chef à Navarin. En détruisant la flotte turque, les canons de la coalition européenne avaient anéanti la Turquie, et celle-ci, sans marine ni troupes, ne pourrait plus faire face au colosse russe. Ainsi l’Angleterre se trouvait avoir travaillé au triomphe d’une politique qui lui était odieuse.

Néanmoins il fallut agir. Les trois nations une fois encore se mirent d’accord pour porter le coup décisif à l’insolence d’Ibrahim. Mais ce coup, qui le frapperait ? L’Angleterre en revendiquait l’honneur, d’autant plus jalousée par la Russie, que celle-ci redoutait de la part de l’Angleterre l’occupation sans fin de la Grèce et la revendication d’un salaire plus formidable que la tâche. On finit par décider que ce serait la France, qui devait ainsi à son désintéressement le mandat de civilisation qu’elle allât rapidement remplir.

Ainsi fut décidée l’expédition de Morée, Quatorze mille hommes partirent sous les ordres dit général Maison, au refus par M. de Caux, ministre de la guerre, d’employer Marmont ou Bourmont que lui voulait imposer le roi. L’Angleterre essaya de gêner le débarquement en négociant directement le départ d’Ibrahim à Alexandrie. Le général Maison débarqua, bivouaqua. Il lui suffit de faire le geste et, sans tirer l’épée, il obtint la soumission d’Ibrahim. Ainsi, pour toujours, la Grèce voyait disparaître de son sol sacré la lourde infanterie arabe et, par les mains de la France, était préservé d’une plus grande souillure le jardin délicat où la pensée humaine vit éclore tant et tant de merveilles.