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tactique qui témoignaient d’une ignorance complète et des intentions du roi et de l’avenir.

Les libéraux furent trop ardents dans la revendication même juste de certaines modifications, notamment à propos des lois sur l’organisation municipale. Sûrs des intentions libérales ou demi-libérales du gouvernement, ils auraient dû, avec lui, concerter leur tactique. Il eût été nécessaire de combiner les interventions, de régler sur la scène parlementaire les effets, de discipliner l’action. Au lieu de cela, à la voix du général Sébastiani, ancien général de parade du premier Empire, dont les fanfaronnades, en 1808, en Espagne, avaient égayé l’armée, à sa voix rude et âpre, les libéraux, sans ménagements, marchèrent. Habilement, les ultras, se servant de ces instruments d’opposition, laissèrent faire, et on sait ce qui advint. Il n’était pas défendu de penser que l’ambition, la convoitise, l’intérêt menaient les chefs du libéralisme, que les conseils vertueux de M. Guizot, désabusé parce que non employé, ne furent pas étrangers à cette tactique : les libéraux portent le poids de la chute du ministère Martignac, lui-même coupable de trop de confiance aveugle envers un roi hypocrite… Ce fardeau, il est vrai, parait léger à qui sait ce qui suivit, et que la fosse éternelle où glissait jour par jour la monarchie légitime était par elle-même creusée. De l’initiative insensée du roi Charles X, de ce ministère nouveau et dernier, comme de l’épuisement du mal, le bien va enfin sortir, et dans des journées saccadées où la vaillance civique se dressera, va se décider le sort du dernier des Bourbons régnants.



CHAPITRE XVII


LE MINISTÈRE POLIGNAC


Les intentions du ministère. — Convocation de la Chambre élective. — Discours menaçant de Charles X. — La réponse énergique des députés. — Agitation de la cour. — Prorogation, puis dissolution de la Chambre. — Campagne personnelle de Charles X. — Écrasement électoral du ministère. — Expédition d’Alger. — Plan du ministère. — Les ordonnances de Juillet. — Protestation des journalistes — Calme apparent de la capitale.


« Charles X est bien toujours le comte d’Artois de 1780 ». Par cette exclamation, Royer-Collard, en apprenant la formation du ministère nouveau, traduisit l’opinion générale, non pas seulement celle des libéraux, évidemment suspects de partialité à l’égard du choix du roi, mais l’opinion des royalistes sincères qui n’avaient pas séparé, dans leur conception, la monarchie de la Charte et rêvaient l’accouplement transactionnel de la liberté et du sceptre. Ceux-là étaient atteints jusqu’à la conscience : ils prévoyaient la longue suite de folies et de provocations par où sombrerait, sous la colère et le mépris, la tentative nouvelle.