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Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/245

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pour rien et où l’on sentait au contraire la mesure d’une Assemblée qui, ayant le droit pour elle, le voulait garder. Et voici la petite phrase révolutionnaire qui se distingua parmi les autres et amena les complications extrêmes où va maintenant se mêler notre histoire nationale :

« Sire, la Charte que nous devons à votre auguste prédécesseur et dont votre Majesté a la ferme résolution de consolider le bienfait, consacre, comme un droit, l’intervention du pays dans les délibérations des intérêts publics. Cette intervention devait être, elle est en effet indirecte, sagement mesurée, circonscrite dans des limites sûres, exactement tracées, et que nous ne souffrirons jamais qu’on ose tenter de franchir ; mais elle est positive dans son résultat, car elle fait du concours permanent des vues politiques de votre gouvernement avec les vœux de votre peuple la condition indispensable de la marche régulière des affaires publiques. Sire, notre loyauté, notre dévouement nous condamnent à vous dire que ce concours n’existe pas. »

C’était la condamnation forte et mesurée à la fois de toute la politique de Charles X. C’était l’indication à lui donnée que le nouveau ministère n’avait pas, n’aurait pas la confiance de la Chambre. Dès lors, une seule voie, par la main de la Chambre élective, était tracée à l’impérieux monarque : c’était de renvoyer ses ministres. En vain, dans la discussion qui suivit, pour atténuer les effets de cette Charte, pour calmer les craintes de la fraction royaliste apeurée qui les suivait, les libéraux soutinrent-ils que ce résultat n’était pas par eux visé. Lequel, alors ? La Chambre d’ailleurs accorda une attention soutenue, solennelle à ces débats. Elle sentait qu’elle pénétrait dans une voie nouvelle et qu’elle marchait vers un horizon inconnu. Ce fut son honneur de s’y enfoncer avec calme, maîtresse d’elle-même comme la France était maîtresse de ses destinées et de n’avoir pas donné pour préface, à l’un des plus grands actes de notre histoire une violente ou fiévreuse ou frivole controverse.

Comment le roi, entouré de ses ministres, reçut-il cette communication ? On n’en peut douter, par ce qu’on sait de son caractère léger et obstiné, par ce qu’on sait de l’état d’esprit de ses collaborateurs. Il reçut avec une dignité hautaine Royer-Collard qui lut la déclaration de la Chambre, au pied de ce trône déjà branlant. Il répondit que ses intentions étaient immuables et qu’il les ferait connaître à l’Assemblée. Le roi était prêt, en effet. Dans un conseil antérieur, où avait été discutée la réponse qu’il opposait à l’adresse, la majorité des ministres avait décidé de dissoudre la Chambre. Mais, comme pour ce coup de force inattendu les préfets pouvaient être surpris, on se contenta, pour masquer la dissolution, d’une prorogation qui devait durer jusqu’en septembre. La Chambre fut donc prorogée.

Après cette prorogation, la cour ne demeura pas immobile. L’ardeur du roi sexagénaire était à chaque instant excitée par un entourage violent qui