Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/246

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lui faisait prendre pour une injure personnelle le refus de concours dont la Chambre l’avait menacé.

Ce ne furent, dans les jours qui suivirent, que fiévreuses enquêtes auprès des préfets, communications, lettres, visites. Une agitation scandaleuse soulevait l’administration tout entière, la portait, selon les lieux et selon les hommes, à la ruse ou à la force, à la corruption ou à la violence. Peu d’électeurs, dans ce chiffre restreint que constituait le corps électoral (80 000), purent se dispenser de recevoir l’affront d’une pression cynique ou d’une sollicitation. Pendant ce temps, les députés, à qui étaient signalés ces actes, ne pouvaient demeurer indécis sur leur caractère et sur leur portée. Pourquoi tous ces préparatifs et à quoi devaient-ils servir, sinon au combat ?

D’autant que, malgré le désir qu’avait le ministère de tenir secrètes ses propres délibérations, il ne pouvait échapper à certaines indiscrétions qui trahissaient, en soulignant la gravité de la mesure préparée, les dissensions gouvernementales. On allait dissoudre la Chambre ; tous étaient d’accord sur cet acte. Mais que ferait-on le lendemain au cas, où en dépit des affirmations préfectorales, la Chambre réélue serait aussi hostile que la Chambre dissoute ? Comme tous les esprits faibles qui redoutent pour la fragilité de leurs conceptions le contact de la réalité, M. de Polignac s’emportait et ne souffrait pas qu’on pût, sans s’attacher à une chimère, s’attacher à une telle hypothèse. Cependant, pressé de répondre, il avait déclaré qu’en ce cas le roi tiendrait tête à la représentation issue d’un scrutin révolutionnaire et frapperait encore de dissolution cette chambre inacceptable. — Quoi ! même avant d’entrer en contact avec elle ! même avant de savoir quelles sont ses vues  ! même avant de justifier par une première discussion l’acte de force prémédité ! — « Oui, même avant », répliquait M. de Polignac, que le roi et le dauphin approuvaient de la tête. — Oui, même avant et au nom de l’article 14 qui donne au roi le droit d’agir « pour la sûreté de l’État ». M. de Courvoisier, effrayé, se retira, suivi de M. de Chabrol ; on les remplaça par M. de Chantelauze et par M. de Peyronnet. Ce revenant du ministère Villèle suffisait à indiquer aux timides ou aux aveugles le plan de violence frénétique auquel M. de Polignac allait attacher son nom.

Quelques jours avant que ces remaniements ne s’opérassent, avait paru l’ordonnance de dissolution, le seize mai 1830. La Chambre était dissoute, les collèges d’arrondissement étaient convoqués pour le 25 juin, les collèges de département pour le 3 juillet, et la Chambre elle-même pour le 3 août. La cour attendait merveille de ces élections où une majorité minima de quarante voix lui était promise par les préfets. Pour la gagner, le Gouvernement descendit à l’acte qu’avait toujours, jusqu’ici, refusé le roi. Charles X rédigea un manifeste électoral, pour prier à la fois et commander. Ainsi il entrait tout armé dans la lice. Ainsi il devenait le monarque de combat et non le roi constitutionnel que la fictivité souveraine d’une feuille de papier