Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/256

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Les députés revinrent rendre compte chez M. Audry de Puyraveau de leur inutile mandat. Ils se trouvaient peu nombreux, à peine trente. Parmi eux, beaucoup cherchaient une issue à cette terrible situation. Que deviendraient-ils si Charles X triomphait ? Et comment ne triompherait-il pas ? Cependant, les députés menacés d’arrestation furent irréprochables, et c’est à ces six parlementaires, en y joignant MM. Bérard, qui offrait sa maison aux réunions, de Schonen, le général Lobau, c’est à ce groupe restreint d’hommes que se peut circonscrire le courage parlementaire ; MM. Périer et Sébastiani défaillirent à chaque heure du jour. Les députés qui avaient protesté refusèrent de signer la protestation !

Marmont avait bien fait connaître au roi la visite qu’il avait reçue. Il appuyait de son avis personnel l’opinion devant lui émise, et parlait de retirer sans retard les ordonnances. Il chargea de ce pli un de ses aides de camp, chargé de mettre verbalement en relief, d’après ses impressions propres, la situation. Cet officier partit pour Saint-Cloud. Déjà le fidèle et clairvoyant ami du trône, l’ami des premiers jours, M. de Vitrolles, avait supplié le roi de céder. Il s’était heurté à un vieillard obstiné, ne parlant que de son droit, de ses sujets et rempli d’illusions. Le colonel porteur du pli ne fut pas plus heureux, « Abrégez ! » disait sèchement le roi, quand l’officier rappelait, par quelque détail, l’audace triomphante des insurgés. « Agissez par masse ! », C’est tout ce que put tirer du roi l’aide de camp, presque suspect…

Agir par masse ! Il n’était plus temps. L’insurrection, comme une mer, battait les colonnes qui étaient venues la sillonner. Le chef de la colonne Porte-Saint-Denis, le général Quinsonnas, était prisonnier. Autour de lui, des poitrines haletantes et robustes formaient un intrépide rideau que les mains tremblantes des soldats n’osaient pas percer. À la pointe Saint-Eustache, les Suisses qui venaient par là à son secours furent assaillis avec un redoublement de colère. Balles et pierres, un orage effroyable les cribla. Ils purent cependant se frayer un chemin. Mais l’insurrection était générale. Le sang coulait partout. Partout des barricades, des fusils qui les hérissent, des fenêtres matelassées qui sont des créneaux meurtriers d’où la mort inlassable s’échappe. La nuit vint faire cesser le combat, mais non le terminer. Elle fut impénétrable dans cette ville où les réverbères avaient servi de matériaux aux barricades. Mais elle ne fut pas silencieuse. Des rumeurs, des piétinements, des roulements de charrettes, des coups de pics, tout témoignait d’une activité héroïque. Le soleil du 29 juillet, en se levant, éclaira une capitale subdivisée en mille camps retranchés.

Marmont est livré à lui-même. Dans son ombre, et sans paraître, agissent des ministres accablés, sauf M. de Polignac, qui promène à travers ces catastrophes, par lui seul causées, une sérénité faite de son inconscience. Marmont veut proposer un armistice. Il écrit. Mais comment imprimer cette proclamation et qui la portera à la connaissance du peuple ? Coup sur coup