Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/264

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

le suivirent, la royauté constitutionnelle qui allait éclore était une transaction nécessaire entre la Révolution encore calomniée et redoutée, et la République, sa fille trop débile.

Ce qui a manqué, surtout à ce moment, c’est l’éducation populaire. Les libéraux, dans leur opposition à la royauté, avaient toujours, et pour cause, dédaigné la propagande active par où les cœurs et les cerveaux se gagnent, par où les consciences s’épurent. Le peuple ne votait pas, et aucune voix désintéressée n’avait tenté d’apporter un peu de vérité à ce souverain déchu. Nul n’avait osé, pendant ces quatorze années de prostration, parler de la République. Son nom n’avait été jeté que comme une outrance paradoxale et non comme un mot d’ordre. Les libéraux s’étaient épuisés dans une opposition dynastique, parlant du respect de la Charte et ne prévoyant aucun horizon derrière l’enceinte bornée de la Chambre. Aussi, dans la vacance du pouvoir royal, la République ne put se dresser comme le fait nécessaire ; elle n’avait pas assez frappé les oreilles et les yeux. Grande leçon et qui prouve que le peuple ne doit jamais laisser à d’autres mains qu’aux siennes la direction de ses destinées ! Grand exemple et qui prouve que l’éducation incessante des individus est la seule sauvegarde des collectivités !

En tombant, Charles X entraînait avec lui la dynastie d’essence divine et féodale, qui se rattachait, par tous ses espoirs, à un régime ancien aboli, qui n’avait accepté le régime nouveau qu’à titre transactionnel et provisoire. La perfidie de Louis XVIII et celle de Charles X caractérisent la Restauration ; ils n’eurent pas le courage de restaurer les anciennes coutumes, ils n’eurent pas la loyauté d’accepter les nouvelles lois que le monde moderne avait promulguées. Toute leur politique fut de ruser avec la Charte qui leur fut un intolérable fardeau, avec le suffrage restreint dont les manifestations outrageaient leur absolutisme, avec la Chambre qui, même en les approuvant, leur fut toujours odieuse. Cette déloyauté contient l’histoire de toutes les crises et surtout de la crise suprême, où, trop longtemps abusée, la naïveté populaire enfin éclata en colère.

Qu’on ne s’empresse pas d’ailleurs de conclure que plus d’habileté aurait ménagé à la dynastie une pérennité éclatante ! Plus d’habileté et de confiance auraient évidemment acclimaté plus longtemps en France la dynastie des Bourbons. Des princes plus fermes, plus instruits, plus vivants, plus souples, auraient, par des concessions habiles, gagné du temps. Le drapeau tricolore arboré dès 1814, le cens peu à peu agrandi, une liberté moins avare de ses dons, un respect scrupuleux de la Charte, plus de cordialité, plus de popularité, un appel direct à la bourgeoisie libérale, tout cela eût permis sans doute l’économie de 1830 ; mais non l’économie de 1848 qui eût été avancé par le destin. Il est pour une monarchie, même libérale, un terme aux concessions : c’est la République. Or, celle-ci planant au-dessus des cœurs, serait devenue visible pour