Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/266

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cette propagande des idées, le fait, la leçon de choses, en un mot, la force économique, illustrant d’un exemple la parole qui en dénoncerait déjà l’abus.

La Révolution française avait passé. Il est vraiment étrange qu’à si peu d’années de son labeur, et quand tant d’hommes en avaient été les témoins, il y ait eu dans les consciences si peu de germes. La calomnie, qui est l’arme de la contre-révolution, avait discrédité devant des générations débiles ses grands hommes, et le fiel de l’histoire jésuitique avait filtré à travers les tombes hâtives où leur mémoire immortelle attendait la vérité. L’Empire, succédant au Consulat, avait, par sa violence splendide, déraciné en ce pays toute énergie propre, et l’horreur que causait le régime de guerre s’étendait à l’acte révolutionnaire, violent aussi, mais qui avait libéré quand l’acte impérial avait asservi. Enfin, au point de vue économique, la Révolution n’avait donné que des enseignements peu profitables à l’émancipation ouvrière, au moins si le regard était superficiel qui les interrogeait.

Elle avait exalté l’individu, et au sortir de la longue compression royale, on le comprend. Elle avait rendu impossible toute association, par réaction contre la contrainte des maîtrises et des jurandes, par peur aussi des complots. Elle avait fondé le droit individuel, la liberté du travail, le droit d’accéder à la propriété, en un mot, déchaîné toutes les initiatives de l’être et aussi, sans qu’elle le voulût, tous les égoïsmes. À ne considérer que cette forme de son action, on la pouvait prendre, comme on la prend encore, pour la grande initiatrice du droit des individus opposé aux exigences de la collectivité.

Rien n’est plus faux que cette donnée subalterne qui émane de critiques peu clairvoyants. Mais cette donnée sévissait surtout pendant la Restauration. La Révolution a créé la liberté et l’égalité : ce sont là ses filles immortelles. Elle a voulu que l’être fût libre. Non pas libre seulement au regard de la féodalité mourante, du régime royal aboli ; libre au regard de toutes les puissances terrestres et célestes. Elle a donné de la liberté cette définition que la liberté n’existe pas sans la sûreté. Qu’est-ce donc que la sûreté, la sécurité du lendemain ? Par quoi peuvent-elles être assurées ? Par la propriété, et c’est ce qui fait que la propriété est pour ainsi dire la matérialisation de la liberté : n’est pas libre celui qui, le lendemain, peut, s’il perd sa place, son salaire, son instrument de travail, être réduit à la détresse. Sa liberté ne naîtra qu’avec l’appropriation de l’instrument de vie.

Mais comment cette haute leçon, qui n’est qu’humaine et qui nous vient de la Révolution, elle aussi humaine, avant d’être française, comment cette haute leçon aurait-elle été aperçue pendant la Restauration ? À cette époque, la propriété ne s’offrait au regard que sous la forme capitaliste. Les champs