Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/269

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met pas de trouver encore dans cette tentative de l’esprit le fondement de la doctrine. En 1819, le Système industriel, et en 1824 le Catéchisme des industriels vont compléter et surtout expliquer l’ébauche : les industriels héritent le pouvoir politique des soldats et des propriétaires. Ce pouvoir politique est à la fois temporel et spirituel. À qui ira le temporel ? Aux hommes utiles, aux industriels. À qui ira le pouvoir spirituel ? Aux intellectuels, aux savants.

Pour bien saisir cette vue, il faut définir, comme Saint-Simon le fit, le mot industriel. Sous sa plume, ce mot n’a pas le sens précis et restreint que lui donne notre langue : l’industriel est celui qui travaille, que ce soit le patron, que ce soit l’ouvrier. Et l’industrie est l’ensemble des travailleurs auxquels Saint-Simon adjoint même les commerçants, qui échangent cependant et ne créent pas. Donc c’est à tous ceux qui travaillent, quel que soit leur emploi, quelle que soit leur place sur les degrés de la hiérarchie sociale, c’est à l’ensemble de ceux qui fondent et créent que doit échoir le pouvoir. Ce pouvoir, il le faut arracher aux militaires, représentants attardés de la force destructive, aux propriétaires, représentants de la féodalité. La part temporelle de ce pouvoir demeurera aux mains des hommes utiles. La part spirituelle aux mains des artistes, des savants, des penseurs philosophes, créateurs de doctrines et de beautés, comme les autres sont créateurs d’utilités.

On peut tout de suite démêler ce qui, au regard du socialisme contemporain lui est opposé, ce qui lui est identique, dans cette large doctrine. Saint-Simon entrevoit la société gouvernée par les travailleurs, et il confond dans les travailleurs les ouvriers et les patrons. C’est le système de la collaboration des classes, et non celui de la lutte des classes. C’est le patron et l’ouvrier associés pour une même œuvre, qui est la direction de l’État, et cela suppose entre eux des intérêts similaires et non des intérêts opposés ; mais on comprend que Saint-Simon se soit attaché à cette vue. Le spectacle que, surtout en 1802, il avait sous les yeux ne le pouvait pas amener à une autre pensée. Ce n’était pas l’époque florissante du machinisme tout puissant ; il n’y avait pas de grandes industries excluant, par leur étendue, l’accession des plus pauvres. L’ouvrier se confondait avec l’instrument de travail qui était le prolongement de son bras. Le patron était modeste, travaillant lui-même. Il n’y avait pas encore séparation, comme aujourd’hui, entre le créateur de la fortune et l’instrument de la fortune. Dès lors, on pouvait croire à la permanence d’intérêts similaires et réunir dans la même classe ceux qui maintenant défendent des intérêts hostiles.

Mais le fondement de la doctrine demeure solidement socialiste. Tout d’abord, c’est l’expropriation de la classe oisive et de la classe destructive, au profit de la classe qui travaille. Le socialisme n’a pas d’autre formule.